Cette première commission de l’année 2012 était animée par Vanessa Frances (Collèges Baganda et Boaouva Kaleba). Les professeurs présents à cette commission étaient les suivants : André Kaemo (Collège Dö Mwà), Florence Le Bars (Collège Do Néva), Jean-Marc Jeno (Collège Eben Eza), Denis Gressard (Collège Havila), Anne de Chérade de Montbron (Collège Hnaizianu), Philomène Caba (Collège Tarémen) et Nathalie Boisseuil (Lycée Do Kamo).

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Cette première commission d’arts plastiques de l’année 2012 a permis aux enseignants de se réunir pour la première fois depuis deux années. Tous les établissements étaient représentés à l’exception du lycée agricole où l’enseignement des arts plastiques n’est pas une matière enseignée.

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A. Histoire des arts

Durant la matinée, les enseignants ont pu échanger sur leur pratique de l’enseignement de l’histoire des arts. L’animation de l’Alliance Scolaire a effectué une présentation du dispositif (enseignement et modalités de l’examen). La galerie photos suivante reproduit le diaporama présenté par la direction. En téléchargement, une grille d’évaluation type de l’oral (votée par le conseil d’administration de l’établissement) et une série d’exemples concernant les questions pouvant être posées à l’oral.

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B. Formations

Les demandes de formations émises par les participants de cette commission ont été les suivantes et seront proposées au catalogue de l’APEP :

  • Reconduction de la préparation à l’admissibilité du CAPES CAER d’arts plastiques
  • Stage d’infographie sur Gimp et ou illustrator
  • Formation sur les techniques et l’approche chromatique et culturelle aborigène, le Dreamtime.

Réforme du CAPES CAER

Depuis 2012, l’admissibilité au CAPES CAER d’arts plastiques se fait sur dossier (à envoyer en deux exemplaires au ministère de l’Education Nationale). Ce dossier se scinde en deux parties : deux pages de CV et 6 pages présentant une séquence pédagogique validée par le chef d’établissement de l’enseignant. En 2015, un niveau master 2 (bac + 5) sera exigé de tout candidat à cette épreuve ; les maîtres auxiliaires non titulaires de ce niveau de diplôme ne pourront donc plus se présenter à l’épreuve. L’Alliance Scolaire propose une formation au deuxième trimestre (en fonction du nombre d’inscrits à cette formation) qui présentera les aspects techniques du dossier RAEP.

Le lien suivant détaille cette réforme :
http://www.education.gouv.fr/cid4929/nouvelle-epreuve-d-admissibilite-de-certains-concours-internes.html

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C. Déroulement de la prochaine commission

La prochaine commission se déroulera aux mêmes horaires que la première commission et se tiendra le samedi 27 octobre 2012.

Cette première commission de l’année 2012 était animée par Michel Malgouzou (Direction, animation de lettres). Les professeurs présents à cette commission étaient les suivants : Germaine Kaqea (Anglais | Collège Do Néva), Louise Poatiba (Anglais | Collège Eben Eza), Imelda Hnanyine (Anglais | Collège Havila), Tony Dugast (Anglais | Collège Tarémen), Sinane Ihage (Anglais | Lycée Do Kamo), Catherine Kasarherou (Anglais | Lycée Do Kamo), Freda Maloune (Espagnol | Collège Boaouva Kaleba), Xavier Windal (Espagnol | Collège Eben Eza), Malia Keletolona (Espagnol | Collège Tarémen), Luis Delvalle (Espagnol | Lycée Do Kamo). N’étaient pas représentés les établissements suivants : Collège Baganda et lycée agricole de Do Neva.

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Cette première commission d’anglais et d’espagnol de l’année 2012 a permis aux enseignants de se réunir pour la première fois depuis deux années. La dernière commission d’anglais remontait au 30 mars 2010 (voir le compte rendu de cette commission). En 2011, des problèmes budgétaires (budget APEP) avaient empêché toute tenue des commissions disciplinaires. Si les thèmes traités durant la commission concernent les professeurs d’espagnol et d’anglais, il a été décidé que la deuxième commission se déroulerait de la manière suivante : une réunion brève des enseignants d’espagnol et d’anglais pour aborder les points communs en début de commission puis un travail spécifique regroupant dans des salles différentes les enseignants de la même langue. La date de la prochaine commission a été fixée au samedi 20 octobre 2012.

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A. Etat des lieux

Après une présentation de chacun, il a été vérifié que chacun disposait bien des heures réglementaires dans son établissement respectif. Des variations étant tout de même constatées : 4 heures d’anglais en 6ème à Eben Eza contre 3 heures 30 à Do Neva, 2 h 30 d’espagnol en 3ème à Eben Eza contre 3 heures à Boaouva Kaleba. Pour rappel, voici un tableau des enseignements obligatoires au collège et en seconde (Cliquez ici pour consulter les textes de références).

ClasseLangue vivante 1 (anglais)Langue vivante 2 (espagnol)
6ème4 heures(Classe bilangue possible)
5ème3 heures (+ 1 heure IDD possible)(Classe bilangue possible)
4ème3 heures (+ 1 heure IDD possible)3 heures
3ème3 heures3 heures ou 0 heures si le module Découverte
professionnelle
est de 6 heures
Seconde5 h 30 pour LV1 et LV2 (Do Kamo : 3 heures en anglais + 1 heure en demi-groupe, 3 heures d'espagnol)

Luis Delvalle a tenu à rappeler que les résultats du baccalauréat étaient nettement meilleurs depuis quelques années au lycée Do Kamo (74 % de réussite en 2011 pour l’ensemble des filières et 82 % pour les terminales Littéraire). Pour certains élèves, l’espagnol est une matière leur permettant d’obtenir de très bons résultats, notamment à l’écrit (copies corrigées en métropole, exemple d’élève ayant obtenu 19 sur 20 en 2011). Dans le débat concernant la place de l’espagnol au sein de l’Alliance Scolaire, il est important de rappeler que l’absence de l’espagnol dans le cursus d’un lycéen venant de Do Kamo peut avoir des incidences sur l’obtention d’une place dans une classe de BTS (en effet, les langues vernaculaires ne sont pas reconnues par certains établissements). Le recours à des assistants de langue n’est effectué qu’au lycée Do Kamo. L’impact de ces assistants y a été très positif ; ils sont intervenus notamment dans le cadre de stages de langue intensif. Il serait bienvenu de relancer le recrutement d’assistants pour les collèges de brousse ; à Nouméa, si le vivier d’anglophones voulant donner quelques heures de leur temps est important, c’est moins le cas en Province Nord et Province des Îles. Une initiative -sous forme d’appel d’offres auprès des consulats par exemple- pourrait reproduire la formule de stage intensif d’anglais pour nos collèges (proposition de l’animateur de lettres).

A.1. Oral et écrit

Même si une certaine aisance à l’oral doit être considérée comme un objectif majeur de l’enseignement des langues vivantes étrangères, tous les enseignants sont d’accord pour reconnaître leurs difficultés à consacrer plus de temps à cette maîtrise de l’oral. En effet, il est difficile de faire participer tous les élèves dans le cadre de classes chargées. La solution étant de travailler en demi-groupes ; ce qui quelquefois n’est pas possible. Un nombre supplémentaire d’heures de langue vivante étrangère est possible à obtenir si les projets d’établissement mettent en avant la maîtrise des langues étrangères. Au lycée, Luis Delvalle note que l’Accompagnement personnalisé (AP) au lycée lui a permis de travailler avec des groupes de 6 élèves. Au collège, il est également possible de travailler les langues vivantes via le biais des heures d’AP. Les textes sont clairs, l’AP peut revêtir les formes suivantes (source : Eduscol)

    • pour tous les élèves d’une division, le renforcement d’apprentissages particulièrement complexes à un moment et à un niveau de formation donnés
    • des travaux en groupes à effectif réduit
    • des aides individualisées
    • ou tout autre mode de prise en charge pédagogique susceptible de répondre aux besoins spécifiques des élèves.
  • Catherine Kasarherou (lycée Do Kamo) tient à remarquer que les compétences écrites exigées en terminale (tant en lecture qu’en compréhension) orientent les cours vers un travail spécifique de l’écrit très important qui se fait au détriment notamment de l’oral.

En anglais, les tests d’entrée en seconde, la mise en place de groupes de niveaux… Ces dispositifs ont été abandonnés au sein du lycée Do Kamo. Le bilan des premières expériences étant très négatif : la difficulté d’organisation, la perte de temps constaté, l’absence de résultats significatifs étant autant de freins à la reconduction de ces dispositifs.

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B. Liaison collège-lycée

Le travail entre les collègues de collège et lycée doit être maintenu (travail sur une séquence commune 3ème-seconde lors de la prochaine commission). Cependant, il faut rappeler que seulement 20 % des élèves des collèges de l’Alliance Scolaire continuent leur scolarité au lycée Do Kamo. Les enseignants d’anglais du lycée ne contastent pas de différences flagrantes entre les élèves provenant des autres institutions d’enseignement du Territoire et ceux de l’Alliance, En espagnol, Luis Delvalle note toutefois que les élèves de l’Alliance Scolaire sont souvent les meilleurs en grammaire et à l’écrit, par contre à l’oral, la tendance est inverse : les élèves ne venant pas de l’Alliance Scolaire étant plus à l’aise dans les situations de communication orale.

D’une manière générale, les enseignants d’anglais notent des difficultés à poser des questions de la part des collégiens.

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C. Niveau A2

Un bilan sur la validation du niveau A2 dans le cadre du diplôme national du brevet (DNB) a pu être établi au cours d’un échange libre entre les différents enseignants du collège. Un premier tour de table a permis de s’apercevoir que les pratiques étaient disparates. Voici les points qui ressortent de cet échange :

Certains établissements ont lié l’obtention du niveau A2 à la moyenne générale obtenue en 3ème (cela se traduisant par un nombre non négligeable d’élèves n’ayant pas obtenu le DNB).

  • Certains établissements ont considéré que les élèves ayant choisi l’anglais obtenaient quasi-automatiquement la validation de ce niveau A2 du fait que celui représente le niveau visé par un élève en classe de 5ème (niveau intermédiaire dit également de « survie »). En CM2, les élèves sont même censés avoir passé une évaluation du niveau A1 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL).
  • Certains établissements, après avoir constaté que beaucoup d’élèves choisissaient l’espagnol en lieu et place de l’anglais, ont vu la répartition anglais/espagnol s’équilibrer une fois expliqué aux élèves que le niveau A2 était celui requis en fin de 5ème (Havila)
  • Pour la majorité des établissements, la non-validation du niveau A2 est devenu exceptionnelle. D’autant plus que le niveau A2 -à l’instar du B2i- est inclus dans la maîtrise du socle commun (Palier 3, compétence 2 : La pratique d’une langue vivante étrangère)
  • La validation du niveau A2 ne passe jamais par une évaluation sommative ; chaque enseignant connaissant ses élèves étant à même d’apprécier leur maîtrise de la langue (aucun besoin de revenir finement sur les capacités participant de chaque niveau)
  • Certains enseignants notent également que les capacités du niveau A2 peuvent être validées quand celles-ci sont en cours d’acquisition. Ainsi, il est très difficile de noter que certaines capacités sont tout simplement non acquises (le seul cas étant que l’enseignant n’ait tout simplement pas travaillé ces capacités).

Pour le choix de l’espagnol pour le niveau A2, les raisons avancées sont la nouveauté de la matière, son apparente facilité (les premières évaluations étant souvent meilleures qu’en anglais), une difficulté phonétique moindre (en comparaison de l’anglais).

En conclusion, tous les collègues ont complétement intégré les réformes de l’apprentissage des langues étrangères ; ainsi sont présentées de manière formelle aux élèves les cinq compétences requises (productions écrite et orale, compréhensions écrite et orale, interaction) et l’ensemble des niveaux du CECRL. Le recours à des grilles d’auto-évaluation sont ainsi mises en place dans certains collèges.

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D. Formations

Les demandes de formations émises par les participants de cette commission ont été les suivantes et seront proposées au catalogue de l’APEP :

  • Reconduction de la préparation à l’admissibilité du CAPES CAER d’anglais et d’espagnol
  • Uilisation des lecteurs numériques en classe (numérisation des cours, choix du matériel technique)
  • Découpage de sa progression annuelle en fonction du CECRL

Réforme du CAPES CAER

Depuis 2012, l’admissibilité au CAPES CAER d’anglais ou d’espagnol se fait sur dossier (à envoyer en deux exemplaires au ministère de l’Education Nationale). Ce dossier se scinde en deux parties : deux pages de CV et 6 pages présentant une séquence pédagogique validée par le chef d’établissement de l’enseignant. En 2015, un niveau master 2 (bac + 5) sera exigé de tout candidat à cette épreuve ; les maîtres auxiliaires non titulaires de ce niveau de diplôme ne pourront donc plus se présenter à l’épreuve. L’Alliance Scolaire propose une formation au deuxième trimestre (en fonction du nombre d’inscrits à cette formation) qui présentera les aspects techniques du dossier RAEP.

Le lien suivant détaille cette réforme :
http://www.education.gouv.fr/cid4929/nouvelle-epreuve-d-admissibilite-de-certains-concours-internes.html

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E. Déroulement de la prochaine commission

Durant la prochaine commission d’anglais et d’espagnol, nous invitons les enseignants à venir nombreux. Contrairement à la première commission de l’année qui a consisté en une reprise de contact, la deuxième commission devrait aboutir sur une séquence commune (pouvant être utilisé en 3ème comme en seconde). Cela permettra aux enseignants de confronter leurs différentes pratiques, notamment dans l’intégration du CECRL à la préparation de la séquence. Cette séquence s’accompagnera de documents multimédia (extraits de films, extraits sonores). Pour alimenter cette séquence, le travail en commun sera précédé -dans la mesure du possible- de la venue d’un membre du consulat australien ou néo-zélandais que les enseignants pourront interroger sur la thématique de la séquence (à définir avec l’intervenant).

En espagnol, un travail identique pourra être effectué si le nombre de participants le permet.

Résultats du diplôme national du brevet 2011 des élèves des établissements de l’Alliance Scolaire. En utilisant le filtre se situant à droite en haut du tableau, vous pouvez obtenir les résultats par établissements (Exemple de filtre : Taremen) ou en tapant le nom d’un élève.

Ensemble des textes réglementaires concernant les sorties scolaires au niveau primaire : encadrement, assurance, délais, etc. Ainsi, chaque sortie engageant une nuitée doit recevoir l’autorisation de l’inspecteur d’académie (ces textes régissent les écoles primaires publiques métropolitaines).

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1. Je fais un feu
Wanir Welepane

2. Il est grand temps
Wanir Welepane

3. Terre Kanake
Déwé Gorodé

4. Indépendance
Déwé Gorodé

5. La peur
Déwé Gorodé

6. Mon peuple
Pierre Gope

7. Sortie de secours
Paul Wamo

8. L’épithète
Paul Wamo

9. Kanaky junior
Paul Wamo

10. Mélanésie ou la vraie vie
Claude-André Girard

11. Pêche à la crevette
Claude-André Girard

12. Le banian
Donovan Boula

13. Poème pour l’ouverture du centre culturel Jean-Marie Tjibaou
Nicolas Kurtovitch

14. Peaux blanches
Nicolas Kurtovitch

15. Le cimetière du Quatrième Kilomètre
Anouya

16. Ouvéa
Nicolas Kurtovitch

17. Terre Kanak
Michèle Néporon

18. Faire le blanc
Denis Pourawa

19. Voir le cercle
Frédéric Ohlen

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Pour exporter vos fiches brevet vers Notanet, voici la procédure à suivre dans ProNote :

  1. Lorsque toutes les données de la fiche brevet sont saisies, activez la commande Fichier > NOTANET >Envoyer les fiches brevet
  2. La fenêtre Exportation des données vers NOTANET s’affiche
  3. Cliquez sur le bouton Parcourir pour définir l’emplacement et le nom du fichier qui va être généré par PRONOTE
  4. Cochez les options souhaitées
  5. Le nombre de fiches exportables est indiqué
  6. Consultez les données manquantes (en rouge) dans les fiches incomplètes
  7. Vous pouvez extraire les élèves dont les fiches sont incomplète
  8. Le bouton Exporter permet de générer le fichier à transmettre au rectorat de Nouvelle-Calédonie

Procédure complète de saisie des notes du brevet et Guide de saisie de Notanet (académie Metz-Nancy)
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Voici deux liens (vers des démonstrations vidéos) qui vont vous permettre de saisir les nouvelles fiches brevet dans Pronotes :

  1. Remplir les nouvelles fiches brevet 2010
  2. Créer les services histoire des arts

Formations APEP 2011 demandés

Les formations demandées en 2011 sont les suivantes :

  • Javelot
  • Vitesse-relais
  • Multi-board
  • Natation en milieu naturel
  • Ultimate frisbee [download id= »16″]

Polo ASEE

Les recommandations suivantes ont été faites pour la réalisation du polo :

  • Rester sur du 100 % coton mais une marque différente
  • Changer la sérigraphie et la couleur (ex. : bleu ciel)
  • Retravailler le style du polo : poche avant, bandes sur les manches

    Formation Frisbee pour 2011 (option partenaire animal)

Installations sportives
Il faut mettre en place des plateaux sportifs sur le modèle de celui installé au collège de Taremen (Maré) :

  • Budget de 19 millions
  • Plateau synthétique avec marquage des terrains de hand-ball, basket-ball, volley-ball, tennis
  • Sautoirs en hauteur et longueur

Remarque

Ne plus jamais organiser de commission le samedi après-midi pour raison d’absence de vols après 14 heures pour les collègues des Îles Loyauté.

Vous pouvez suivre dans cet article, le travail se déroulant tout au long de l’année 2010. Chaque collège de l’Alliance Scolaire est chargé d’un chapitre. Bonne lecture.[tab name= »Introduction »]
ECART
Introduction

Les rêves

Je n’arrive plus à dormir, mes rêves me grattent la tête.

Toutes les nuits, je revis mes aventures : une nuit, j’endors Ciixa, le poulpe géant qui veut m’empêcher de prendre la porcelaine fluorescente, la nuit suivante, je me tapis pour éviter le lézard, gardien de la pierre ardente, une autre nuit, je me joue de la fée de l’îlot solitaire. Une autre fois, j’écrase le sein du wananathin à l’aide du casse-tête de la vieille dame aux cheveux blancs…

Toutes les nuits, je revis mes aventures. Mais le plus étrange, c’est que, dans mes rêves, je ne suis plus Wanakat, l’humain, mais Wanakat, l’aigle rapide, Wanakat, le serpent sournois, Wanakat, la roussette nocturne… Quand je me réveille, poisseux, agité, je vérifie bien que je suis toujours un enfant : je regarde mes mains, sens mon cuir chevelu, cours me regarder dans le miroir de mon grand-père : les yeux sont là, ma bouche, le nez… je respire.

Comme je n’en peux plus de mes cauchemars, je décide de me confier à Dadabé.

— Grand-père, grand-père, j’ai quelque chose à te dire.

— Ah, oui, tes cauchemars…

— Tu sais ?

— Wanakat, mon rôle, mon malheur, c’est cela : tout savoir !

— Grand-père, tu peux m’aider alors ?

— Wanakat, si tu revis tes aventures sous la forme animale, cela veut dire que tu ne sais pas si tu veux vraiment être un homme.

— Et alors ?

— Alors, pour être sûr que tu veuilles bien être homme et non un animal comme dans tes rêves, il n’y qu’une solution.

— Quelle solution, dis-le moi, Dadabé ?

— Il va falloir que tu retournes sur le lieu de tes exploits. Dans chacun de ces endroits, tu rencontreras celle ou celui qui a le pouvoir de te transformer en animal. Une fois métamorphosé, tu auras le temps d’une journée et celui d’une nuit pour savoir si définitivement tu veux rester cet animal. Si tu ne le désires pas, tu redeviendras humain et tu repartiras vers ta prochaine destination. Une fois ton périple achevé, tu reviendras me voir. Moi, j’aurai le pouvoir de te transformer dans l’animal de ton choix mais sans possibilité de retour vers ta forme humaine, ce sera le choix le plus important de ta jeune vie. De toutes les façons, tes cauchemars finiront que tu sois un homme ou l’animal que tu auras choisi d’être.

— Grand-père, j’ai peur !

— Oui, moi aussi, j’ai eu peur.

— Dadabé, toi aussi, tu as fait ce voyage !

— Oui, et tu sais quel a été mon choix. Mais dépêche-toi, va chercher ta pagaie magique, celle qui te permet de te transporter d’un banian à un autre. Pars, Wanakat, pars.

Je vais chercher mon petit sac BTS (Boîte de sardines, Sao et Tulem), marche jusqu’au banian où toutes mes aventures ont commencé. Je commence à descendre le long des racines et une fois arrivé loin, très loin sous la terre, je ferme les yeux, me mets en boule et frotte ma pagaie magique.

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[tab name = « Chapitre 1 »]
ECART

Chapitre 1 | Boaouva Kaleba – Poum

Beau gecko

Lorsque j’ouvre les yeux, je vois un paysage sublime mêlant le rouge de la terre et des montagnes au vert parfois presque fluo de la végétation.

Je sais alors que je suis à Poum et devant une mine de nickel car mon grand-père m’en avait toujours parlée étant encore enfant. Les montagnes conservent encore les années d’exploitation comme en témoignent leurs crêtes et leurs flancs rabotés en étages. Je prends alors la route vers les pistes rouges, j’aperçois au loin des camions et des hommes habillés en uniforme vert portant des casques de couleur orange. Je poursuis ma route et m’arrête devant une petite rivière pour me désaltérer.

C’est alors qu’une voix se fait entendre derrière moi. Lorsque je me retourne, je vois à ma grande surprise quelque chose qui court vers moi et des yeux rouges qui brillaient. Puis il s’arrête face à moi sur les eaux du creek. Il me semblait qu’il volait, c’était extraordinaire ! Je pouvais voir son corps depuis le bas de son cou : les trois grands doigts, et de longs ongles noirs terminés par des sortes de coussinets circulaires dans la paume de chaque main lui permettant de s’agripper aux rochers. Il avait des yeux rouges, une peau verte rugueuse et écailleuse.

L’ambiance des lieux n’est alors plus la même. Par sa simple présence, il y a un changement d’atmosphère. Juste en le parcourant du regard, de la tête aux pieds on ressent de la crainte et du respect. Il me parle alors d’une voix forte et majestueuse, au son de sa voix il y a un petit tremblement de terre et un vent puissant comme si les éléments de la nature se déchaînaient.

Il me dit alors :

— Bonjour Wanakat, je sais pourquoi tu te tiens sur ce lieu.

— Qui êtes-vous ? lui demandai-je avec beaucoup de crainte.

— N’aies pas peur, rétorque-t-il. Je m’appelle Kâgûû [1], je suis le gardien de ces lieux, des roches et des montagnes, je vis depuis la nuit des temps. J’avertis et reprends les hommes par des rêves et des visions.

— Mais d’où venez-vous, l’interrompis-je soudainement

— Je te l’ai dit. J’existe depuis toujours. Les esprits étaient les premiers habitants de la terre, ils vivaient dans la mer car aux temps anciens la mer recouvrait presque toute la surface de la terre. Les premiers animaux terrestres étaient des lézards, ils existaient bien avant l’apparition de l’homme sur la terre. Nous apparaissons sur la terre lorsque nous sentons qu’elle souffre et que les nôtres, les animaux, les plantes et toute la nature pleurent jusqu’à remuer le monde des esprits.

— Je vois et…

— Non ! cria-t-il je sais déjà pourquoi tu es là avant même que tu l’aies pensé. Je sais qui est ton grand-père, je sais de quel arbre tu viens, je sais tout. Et c’est moi qui va te permettre de te transformer, je veux te faire montrer la vie que mène un petit lézard et ce que vous les Agûû [2] vous faites endurer à la terre, aux plantes et aux animaux

Soudain, il récite une formule magique en langue : Kôôvalia donalia [3] et au fur et à mesure qu’il parle, je me mets à trembler des pieds jusqu’à la tête.
A ce moment là je sens une grosse douleur tout le long de mon corps, mes cheveux tombent et ma tête se recouvre d’écailles vertes. Mes mains et mes pieds se mettent à rétrécir puis je tombe à quatre pattes. Mes ongles poussent et deviennent crochus au bout de mes doigts. Je me vois rétrécir petit à petit sur le reflet de l’eau, je tombe par terre et m’enfonce sous les grosses feuilles de niaouli et de gaïac. A la fin de ma métamorphose, je me sens tout petit, presque minuscule. Ma tête tourne car tout mon être avait été comprimé comme si j’avais été réduit en purée ou en compote.

L’Esprit décide de m’envoyer vivre ma vie de gecko sur la mine de Paëvala, afin de me faire comprendre la vie de petit animal dans une grande exploitation humaine.

L’homme lézard a dû m’envoûter car tout ce dont je me souviens c’est de son regard pénétrant. Sa voix résonne encore dans ma tête puis plus rien, le trou noir…

Quand j’ouvre les yeux, le soleil est déjà haut dans le ciel, j’aperçois des camions, des ouvriers habillés de vert et cette terre toute rouge, le contraste est saisissant. Je me trouve sur une immense machine, une Poclain, elle sert à creuser la terre.

Je me regarde dans le rétroviseur et je me vois… Quel choc ! J’avais oublié ma nouvelle apparence.

Mais, j’aime ma nouvelle peau, ma couleur d’olive verte, ma langue toute rose ! Grâce à mes pattes ventouses, j’arrive à descendre du monstre de fer sans me faire mal, je tombe sur la route.

Devant moi, un beau papillon bleu et noir virevolte. Je n’en ai jamais vu de tel à Ouvéa. J’essaie de l’attraper. Un bruit énorme et sourd me paralyse sur place, un camion aux roues géantes arrive droit sur moi, je me jette de l’autre côté du chemin, je tombe sur de l’herbe verte et accueillante. Ouf ! Quelle peur !

Je me remets petit à petit de mes émotions. Je grimpe sur un énorme rocher qui surplombe la baie de Poum.

J’entends les sirènes des bateaux qui approchent pour charger le précieux minerai. Mais à y regarder de plus près, je constate que la mer est rougeâtre, salie par les retombées de nickel… C’est triste pour le lagon et ses habitants ! Je pense qu’il est difficile de survivre dans ces conditions.

J’ai l’impression que des heures se sont écoulées, mon ventre gargouille. Je vois alors des petits papillons blancs posés sur les pierres. Je rampe tout doucement vers eux puis je lance ma langue… J’en ai un !

C’est très bon ! Je comprends maintenant pourquoi les tarentes et autres lézards aiment tant les papillons. Ils ont un goût de pistaches grillées.

Ainsi rassasié, je continue ma balade.

Je rencontre les animaux du maquis minier. Il y a par exemple, Flore la sauterelle, avec qui c’est difficile de parler, elle ne cesse de faire des bonds ! Babou le hibou, un peu grognon car je l’ai réveillé. Malek le cerf, très craintif car il semblerait que beaucoup d’humains soient à sa recherche, il m’a expliqué que dans le coin, le rôti de cerf était un mets recherché !

A la tombée de la nuit, mes petites pattes de gecko n’en peuvent plus.

J’ai le cœur lourd, le vieux Dadabé me manque.

C’est marrant la vie de gecko mais aussi très dangereux. Je me sens si petit, si fragile, je voudrais redevenir un garçon. De grosses larmes roulent sur me joues de lézard.

Soudain un flap, flap singulier se fait entendre dans l’arbre voisin.

C’est une roussette !

Une vieille et majestueuse bête. Elle m’a entendu pleurer et voudrait m’aider. Elle s’appelle Rourou, plutôt rigolo pour une roussette !

Je lui raconte toutes mes aventures, par chance, elle me comprend et m’explique qu’en fait, elle a été envoyée par l’homme lézard.

Elle me prend alors entre ses pattes aux griffes crochues et m’emporte dans les airs.

Elle me dépose doucement devant le BGV et l’esprit gardien.

Il me lance un regard bienveillant, sa voix chantonne une douce formule, un souffle magique.

Je sens mon corps grossir, mes bras et mes jambes s’allongent…

Lorsque je lève la tête, je suis de nouveau un petit garçon, quelle joie !

Quant à l’esprit… Il a disparu dans un épais brouillard.

Le BGV me tend ses branches, je frotte ma pagaie magique, le soleil se lève à l’horizon…. Je me concentre et ferme les yeux…

De nouvelles aventures m’attendent….


[1] Se traduit par esprit dans la langue Nenema

[2] Agûû : se traduit par hommes

[3] Invocation pour une transformation qui signifie « avoir l’habileté du héron »

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[tab name = « Chapitre 2 »]
ECART

Chapitre 2 | Baganda – Kaala Gomen

Une tourterelle

C’est le lever du soleil quand je sors du banian, je m’aperçois rapidement que je suis au sommet d’une très haute montagne. Le paysage qui m’entoure me paraît vraiment incroyable. C’est la première fois que je me retrouve à une telle hauteur: chez moi, à Ouvéa, tout est plat et de telles montagnes n’existent pas.

Je prends le temps d’admirer les environs : la mer s’étend à l’infini devant moi, d’autres montagnes majestueuses me cernent, et de ci, de là, des maisons s’éparpillent à mes pieds, au cœur d’une végétation sauvage, parfois aride, parfois verdoyante. Cela me fait drôlement bizarre d’être là; le vertige me prend quand mon regard s’attarde vers le bas. Alors je lève les yeux vers le ciel dont le bleu me rappelle celui d’une piscine.

Soudain, je me tourne vers les brousses car j’entends quelque chose se déplacer vers moi. Mon cœur se met à battre rapidement. Mais… Ouf ! Ce n’est qu’un oiseau, une tourterelle.

— Bonjour, me dit-elle, qui es-tu?

— Je suis Wanakat et je viens d’Ouvéa. Et toi, qui es-tu?

— Je suis Toutou la tourterelle, j’habite ici, au sommet du Kaala, je suis ravie de faire ta connaissance. Maintenant, suis-moi.

Surpris, je lui demande :

— Où m’emmènes-tu?

— Je t’emmène voir le gardien de la montagne…

Une fois devant l’étrange demeure du gardien, celui-ci sort, m’impressionnant autant par sa voix que par son physique monstrueux.

— Que viens-tu faire ici, jeune garçon?, me demande-t-il.

— C’est cet oiseau qui m’a conduit jusqu’à vous, lui réponds-je, en lui désignant du doigt… un endroit vide, puisque la tourterelle a disparu !

— Ah! C’est toi Wanakat, ton grand-père m’a envoyé un messager par le ciel pour me prévenir de ta venue.

— En effet, j’ai une demande à vous exposer: j’aimerais être métamorphosé en un animal afin de me débarrasser des rêves inquiétants qui hantent mes nuits.

Le gardien me demande alors de pousser le cri d’une tourterelle. Je n’ai aucune idée de ce qu’il peut être mais j’essaie une première fois. Le gardien, en l’entendant, sourit et me dit qu’on dirait celui d’une grenouille. Je crie donc une deuxième fois, ce coup-ci, cela lui rappelle le grognement du cochon !

Il se décide à m’aider:

— Concentre-toi, pense à ce bel oiseau, imagine-toi en lui…

J’écoute attentivement ses conseils. Cette fois est la bonne, je crie « cou crrouou! ».

Immédiatement, je sens mon corps réagir. Des milliers d’aiguilles traversent ma peau, des plumes recouvrent petit à petit l’ensemble de mon corps. Ce dernier devient de plus en plus petit, je rétrécis, rétrécis. J’ai l’impression d’être broyé. Mes mains, mes bras deviennent des ailes, mes jambes se transforment en minuscules pattes, mes oreilles disparaissent et mon nez et ma bouche durcissent pour devenir un bec dur et pointu. Je me retrouve, au ras du sol, dans le noir, sentant sur mes plumes peser quelque chose d’indéfini.

Qu’est-ce que cela peut-être? Où est la lumière? Je m’affole, donne des coups de becs, des coups d’ailes, essaie de me dégager. Enfin, je sors de ce piège et découvre avec soulagement que ce n’était que mon tricot de jeune garçon, je le laisse là, je n’en aurai plus besoin. Je cherche alors du regard le gardien de la montagne, ses empreintes de pieds me mènent vers sa porte, je n’ose pas l’embêter.

Je réalise que je suis une tourterelle, une vraie. Je déploie mes ailes, saurai-je seulement les utiliser? Pour le savoir une seule solution: les tester. Aussitôt, je prends mon élan, secoue mes nouveaux membres de plumes et m’envole avec succès vers la forêt au pied du Kaala. Je vole à travers les arbres tel un O.G.V. (Oiseau à Grande Vitesse!). Quelle sensation nouvelle ! Je me sens libre, léger comme l’air.

Soudain, j’aperçois une flaque d’eau vers laquelle je me dirige avec envie, j’ai une soif de loup et puis, j’ai hâte de découvrir à quoi je ressemble. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Je me penche au-dessus de l’eau boueuse. Je découvre deux yeux aussi rouges que le sang qui coule à travers nos veines. Ma poitrine est blanche comme si je m’étais roulé dans la farine. Mes plumes lisses sont gris clair, un délicat collier noir enserre mon cou. Mes pattes roses me font penser à celles des flamands, bien plus petites évidemment.

Après avoir bu, je me décide à aller explorer les environs, je longe la rivière qui coule au milieu des arbres. J’ai l’impression de vivre un rêve et prends beaucoup de plaisir à survoler ces paysages merveilleux.

Tout à coup, un gros bruit retentit au fond de la vallée. « Pan! Pan! » On dirait des coups de fusil. Je remonte la rivière, ma curiosité m’entraîne vers ces bruits inquiétants. Là, j’aperçois un groupe d’hommes armés, des nautous sans vie pendent à leur ceinture. La chasse a été bonne pour eux mais cela ne leur suffit pas puisqu’ils se mettent à me tirer dessus.

Ils m’ont vu.

J’esquive de mon mieux les coups et profite des arbres pour me cacher et m’échapper. Heureusement, je m’en sors sain et sauf. Il s’en est fallu de peu, cela m’apprendra à être trop curieux. Peu de temps après, j’atterris dans une savane de niaoulis. Je me perche sur un branche, me repose quelques instants. Je commence à me demander si la vie d’oiseau est si plaisante que cela…

Perdu dans mes pensées, je n’ai pas entendu les battements d’ailes qui s’approchent de moi. Il me semble que le ciel s’est brusquement assombri. Quand je tourne la tête vers le ciel, je vois un oiseau aux ailes immenses plonger vers moi. De nouveau, la peur m’envahit, une seule idée en tête: prendre la fuite et semer mon prédateur. Je m’envole précipitamment. Je zigzague entre les arbres le plus vite possible. J’ai du mal à garder le rythme, je perds haleine mais je ne me décourage pas. Je n’ai pas envie de finir dans son estomac.

Un grand « boum » met fin à notre course. Caché derrière un tronc, je reprends mon souffle. Il a disparu, s’est-il cogné à un arbre ? Je ne sais pas, ne veux pas savoir.

Je préfère poursuivre ma route. Toutes ces aventures me donnent envie de redevenir Wanakat, le petit garçon d’Ouvéa.Il faut que je retrouve le gardien de la montagne avant qu’il ne soit trop tard. Je survole les plaines jusqu’au moment où une voix surgie de nulle part me dit :

— Rejoins-moi à Téoudié, je t’expliquerai comment reprendre ta forme humaine, il ne te reste que peu de temps ou tu seras condamné à rester animal !

En chemin, je rencontre un martin-pêcheur :

— Peux-tu m’indiquer la route pour la baie de Téoudié, s’il te plaît?

— Suis-moi, me répond-il, mystérieux.

Nous volons pendant un bon moment. Il finit par me parler.

— Je suis d’ici et je suis un animal sacré. C’est le gardien du Kaala qui m’a envoyé pour te guider vers la voix qui t’a parlé. Voilà nous sommes arrivés, nos chemins se séparent ici.

Au loin, je devine une silhouette à l’entrée d’une grotte. Elle me fait signe de la suivre à l’intérieur. Dans l’obscurité, je ne discerne rien de ce qui m’entoure. Dehors la lumière du jour baisse. La silhouette me demande de répéter une formule magique : «Nu énon ouvéa yatha nu Wanakat ». Je ne perds pas une minute, je la prononce.

Ma métamorphose démarre immédiatement: je perds mes plumes, mon bec, je grandis, retrouve enfin ma forme humaine. Je redeviens avec soulagement Wanakat le petit homme. J’étire mes jambes, dégourdis mes doigts, mon corps semble sortir de sa coquille.

Avant de sortir de ce sombre endroit, je demande à la silhouette de m’indiquer le banian qui me permettra de poursuivre mon aventure.

— Dirige-toi vers Pwëvô, là tu reconnaîtras l’immense banian aux feuilles blanches tachetées de noir.

A l’extérieur, un jeune homme t’attend pour t’accompagner. En chemin, je ne peux m’empêcher de raconter mon histoire à Kayalé qui a mon âge et est très gentil avec moi. En échange, il me raconte la légende du gardien de la montagne mais je ne peux la dévoiler, c’est un secret.

Une fois devant le banian, je remercie sincèrement mon nouvel ami auquel je fais mes adieux. Juste avant que les premiers rayons du soleil n’apparaissent, je m’installe au cœur de ce magnifique géant aux feuilles bicolores. Je n’oublie pas de ramasser mon sac B.T.S qui m’attendait au pied de l’arbre. Quelques gorgées de Tulem, deux ou trois Sao plus tard, je touche ma pagaie et m’enfonce vers une nouvelle destination.

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[tab name = « Chapitre 3 »]
ECART

Chapitre 3 | Do Neva – Houaïlou

Un terrifiant requin

Je sens une odeur caractéristique et comprends que je suis au bord de mer. Mais pour l’instant il faut que je m’extirpe de cet enchevêtrement de racines. Ce banian n’a pas vraiment apprécié l’air salin. Il est tout rabougri. Ses racines sont tortueuses et, pour l’instant, je suis prisonnier d’elles. J’arrive à passer ma tête et aperçois la mer. Elle est à quelques mètres seulement… et semble monter. Il  faut que je fasse vite si je ne veux pas me retrouver mouillé… ou pire.

Une vieille femme s’approche au loin. Elle se dirige vers le banian. Elle s’arrête à quelques mètres et s’assoit, jambes croisées. Elle reste là, impassible, et me dévisage de son regard dur et sombre. Son nez est crochu et ses cheveux ébouriffés et poisseux. Elle est assez effrayante.

Je l’interpelle et lui demande de l’aide. Elle ne bouge toujours pas.

— Je suis Wanakat, petit fils de Dadabé, je…

Elle se lève tout à coup, avec une étonnante agilité, s’approche de moi, et me dit :

— J’attends effectivement le petit fils de Dadabé qui fut autrefois mon disciple. Il m’a parlé en rêve cette nuit et m’a fait part de ta quête, mais si c’est bien toi, Wanakat, tu dois te débrouiller seul…

Et elle se rassied à quelques mètres.

Que faire ?

La mer continue de monter. Les vagues commencent maintenant à lécher mon visage. Je pense alors à la pagaïe magique. Mes mains tâtonnent à sa recherche. Ça y est, je l’ai ! Je m’en sers comme d’un levier pour écarter les racines. J’arrive enfin à sortir. Ouf, il était temps ! La mer est maintenant haute et l’eau atteint les racines du vieil arbre. Je m’écroule sur le sable, épuisé par mes efforts. La vieille femme s’approche de moi et… me soulève ! Comment une si frêle personne peut avoir une telle force. Bah, après tout, mes aventures précédentes ont été marquées par tellement de surprises de la sorte que plus rien ne devrait me surprendre, mais quand même… Elle va certainement me féliciter.

Elle se met à marmonner des mots en langue A’jie qu’évidemment je ne comprends pas. Et c’est alors que je me retrouve projeté à plusieurs dizaines de mètres du rivage dans une gerbe d’eau.

Je coule. Je crois me noyer. J’ai très peur. J’aimerai que mon grand-père, Dadabé, soit avec moi. Où es-tu grand-père ? A ce moment, je sens comme une pointe dans mon dos. C’est comme si une lance me transperce et sort de mon dos. Mes dents se multiplient, grandissent et sont de plus en plus tranchantes. On dirait des couteaux bien affutés. Tout à coup, mes pieds se collent et semblent ne faire plus qu’un. On dirait qu’ils se transforment en… mais oui, c’est bien ça… en une queue de poisson. Et pas une petite ! Elle semble plus grande que ma pagaïe magique. Mon cou me démange et des fentes bizarres apparaissent. J’essaye de me gratter mais mes bras ont rétréci et ils s’élargissent tellement qu’on dirait des ailes d’avion.

Je coule de plus en plus. J’ai peur de mourir. Je vois ma vie défiler dans ma tête… toutes mes aventures : Ouvéa, l’invasion des moustiques, la porcelaine fluorescente, la pierre ardente, la mandarine bleue, l’essence du santal solitaire, la noix du cocotier bibiche, l’igname serpent, les plumes d’or de la perruche, les poils de la roussette blanche, et tous ces gardiens que j’ai dû affronter… Je pense à ma famille, à mon grand-père. Pourquoi ne m’aide-t-il pas ? Et puis je touche le fond de l’eau.

Je suis calme maintenant. La peur s’estompe. J’entends alors des voix sous l’eau. Suis-je mort ? J’ouvre les yeux, et c’est un spectacle magnifique qui s’offre à moi. Une multitude de poissons, de formes et de tailles différentes, des coraux multicolores, une tortue qui semble flotter en apesanteur au-dessus de moi. C’est le paradis sous l’eau ! Je suis si émerveillé que je ne me rends pas compte que je respire sous l’eau. Ou plutôt que je n’ai pas besoin de respirer… ou l’inverse… je ne sais pas. C’est si bizarre comme sensation.

En fait, je ne le sais pas encore, mais me voilà transformé en requin, en très grand requin. Les poissons sont bien plus petits que moi. J’essais de nager. Au début je me cogne un peu partout, mais je m’habitue vite. Je vois un groupe de poissons plus loin. Je m’approche d’eux, mais aussitôt ils s’enfuient. Plusieurs fois cela se reproduit. A chaque fois que je m’approche, tous se sauvent. Même chose pour une tortue que je croise. Tout le monde semble me prendre pour un être terrifiant. Alors quand je vois un petit poisson caché dans une patate de corail, je m’approche aussi doucement que possible et lui dit :

— Bonjour ! Je sais que tu es là. Pourquoi as-tu peur de moi ?

— Parce que tu es un requin, pardi ! Et que les requins nous mangent.
Ainsi donc je me suis transformé en requin. J’ai beau lui expliquer que moi je ne veux aucun mal aux poissons et que je ne les mangerai pas, le petit poisson ne semble pas me croire et reste caché.

— Ecoute, je viens d’Iai, je suis le petit-fils de Dadabé.

— Qui est Dadabé ?

— C’est le chef de notre village.

— C’est où Iai ?

— C’est une île à l’Est de Houaïlou. Juste en face d’ici. On l’appelle aussi Ouvéa.

J’essaye de gagner sa confiance quand tout-à-coup mon ventre gargouille, et là, tous les poissons s’enfuient à nouveau à toute vitesse. Je veux les rattraper pour m’excuser mais ils semblent encore plus effrayés. Ils partent dans tous les sens. Mais, que se passent-ils ? Beaucoup d’entre-deux semblent s’agiter de façon bizarre. Je me rapproche et constate qu’en cherchant à me fuir ils se sont jetés dans une senne tendue par des pêcheurs. A ma vue, ils sont terrorisés. Je tente de les rassurer et leur dit :

— N’ayez pas peur, je vais vous aider.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Je fonce de toutes mes forces dans le filet en ouvrant tout grand ma gueule. Avec mes dents acérées, je déchire les fils de nylon. Tous les poissons réussissent à s’échapper, mais moi, je me retrouve coincé à leur place. Plus je me débats, plus je m’emmêle dans les mailles du filet. C’est alors qu’une chose incroyable se produit : les poissons viennent à leur tour m’aider. Les poissons scies découpent le filet, les poissons chirurgiens coupent les bouts de nylon qui entourent mes nageoires à l’aide des scalpels situés au bout de leur queue, d’autres poissons enfin nettoient mes plaies… Me voilà enfin libre. Les poissons viennent me présenter leurs excuses.

— Nous sommes désolés de ne pas t’avoir cru, mais c’est bien la première fois que l’on voit un requin gentil.

— J’accepte volontiers vos excuses, mais j’ai faim. Je n’ai rien mangé depuis longtemps et ces aventures m’ont épuisé.
Les poissons s’agitent et me rapportent aussitôt des éponges et des algues que je m’empresse de dévorer. Je dois être le premier requin végétarien !

Je les remercie et leur fait mes adieux. La journée touche à sa fin et il me faut reprendre mon périple. Je me rapproche du rivage et aperçois le BGV par lequel je suis arrivé. La vieille femme n’est plus là. Qu’importe, je sens que mon corps se transforme et que je retrouve mon apparence de petit garçon. Je gagne la terre ferme et me fraye un passage entre les racines du banian. Je frotte à nouveau ma pagaïe magique et me revoilà parti pour de nouvelles aventures.

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[tab name = « Chapitre 4 »]
ECART

Chapitre 4 | Dö Mwà – Canala

Un magnifique cagou

Lorsque je sors du banian, le soleil pointe ses premiers rayons. Peu à peu, le froid glacial de la nuit fait place à une chaleur douce et réconfortante. Je me sens revivre. Je me mets à tourner et à retourner dans ma petite tête, les meilleurs moments de mes aventures passées : « Qu’est-ce que j’ai de la chance de vivre tout cela à mon âge ! » pensè-je. D’Ouvéa à Canala en passant par Poum, Pouébo, Gomen et Wawiluu, que n’ai-je pas vu ? Dadabé, mon grand-père ne dit-il pas souvent que les voyages forment la jeunesse ? Aujourd’hui, je comprends mieux ce que ressent dans son petit corps, le gecko, devant le danger, obligé d’apprendre à vivre dans un monde entouré de grosses machines et dans un environnement défiguré par le travail des hommes. Je redoute la rage et la ténacité des chasseurs et des braconniers qui participent, malgré eux, à la disparition des espèces menacées notamment des tourterelles. Je mesure la crainte et la peur que suscite le requin et reconnais, néanmoins, le rôle essentiel qu’il joue dans le maintien de l’équilibre entre les espèces marines… Je suis encore dans mes souvenirs quand, soudain, j’entends l’écho d’une voix forte qui, apparemment, s’adresse à moi en Xârâcùù :

— Wanakat ! Wanakat !

Ne sachant d’où vient la voix je n’ai pas eu le temps de répondre…

— Wanakat, mâniri fè toa nöö bwakwè rè mèdè cö dö nèxöö ! poursuit-elle. Là-bas, le vieux Chaava t’attend pour te donner la formule qui te permettra de te débarrasser des rêves qui te hantent.

Surpris par la soudaineté et l’intensité de la voix, mon cœur se met à battre fort.

— Va ! Dépêche-toi, va !

Aussitôt, sans me poser de question, je me mets en route.

Je traverse la plaine verdoyante à grands pas, cherchant à atteindre le sommet de la montagne en face de moi. C’est alors que, zigzaguant avec attention entre les niaoulis noircis par les feux de brousse, je sens une douleur atroce traverser tout mon corps. J’ai l’impression d’être arrosé par des milliers de fléchettes. La douleur est telle qu’elle finit par plier mon corps qui s’est ramassé en boule en se rapetissant comme pour mieux contenir la douleur. A la place de mes poils, je vois pousser des plumes blanches et grises qui, tout en s’allongeant, se posent les unes sur les autres en recouvrant mon corps. Sans prendre garde, je chute lourdement et roule par terre comme un fruit mur tombé d’un arbre.

En me relevant, je sens à peine mes pieds qui, devenus plus fins et plus courts sont recouverts d’écailles. En baissant la tête, je vois qu’ils virent au rouge. Dans ma tête je sens mes pensées s’entrechoquer. Je me suis évanoui.

En reprenant mes esprits, je constate qu’à la place de ma bouche se trouve maintenant un bec dur de la même couleur rouge que mes pattes effilées. Au-dessus de mon bec et de part en part, deux minuscules orifices en guise de narine. Des deux côtés de ma tête, deux gros yeux noirs qui me permettent de voir à l’horizontal dans un grand rayon. Sur mon crâne, dans l’axe de mon corps, une couronne de plumes en forme de panache de chef indien, un magnifique éventail qui se plie et se déplie selon mes désirs et mes envies et qui me donne un air royal. Mes bras, en collant à mon corps et en raccourcissant, se sont repliés en forme d’ailes d’oiseau  sans envergure.

En essayant de lever les bras, je bats des ailes, je bats de l’aile… incapable de voler. Dès lors, je comprends que je suis devenu un cagou, un majestueux cagou.

Avec beaucoup de peine, j’entreprends d’escalader la montagne et d’arriver au sommet au plus vite afin de trouver le chemin qui mène à la colline de la mandarine bleue.

Le soleil est déjà haut dans le ciel quand j’atteins le sommet : une vue imprenable sur l’ensemble de la vallée. Au loin la baie de Canala dont l’entrée est signalée par trois rochers sculptés par les vents : on dirait trois frères en pleine discussion. Derrière moi, les chutes de la cascade de Ciu  se rejoignent pour former la rivière qui traverse la plaine, rendant la végétation verdoyante environnante très dense. Plus loin et à ma gauche, j’aperçois une colline arborée. Cette colline, pas comme les autres, me rappelle là où se trouve la mandarine bleue.

Comment faire pour aller jusque- là ? Ah ! Si je pouvais voler… A vol d’oiseau, cela me prendrait un clin d’œil.

En y songeant, l’envie me prend de savoir au juste pourquoi le cagou ne vole pas. Il a pourtant deux ailes avec de belles plumes comme tous les autres oiseaux … Il doit avoir une bonne raison pour qu’il en soit ainsi. Est-ce par nécessité, un handicap ou un accident ?

Ah ! Si le cagou pouvait voler, cela peut lui éviter bien des ennuis auquel il doit faire face dans cette forêt où le danger ne manque pas, pensè-je !

Je tourne et retourne plusieurs fois la question dans ma tête sans réussir à trouver la réponse. Pourquoi n’ai-je jamais posé la question à Dadabé mon grand-père ?

A ce moment, je réalise que je suis tout seul et que ce qui importe, c’est de me débrouiller pour rejoindre la colline de la mandarine bleue si je veux retrouver ma forme humaine du petit garçon d’Ouvéa que je suis.

Imaginant les difficultés qui attendent le cagou que je suis devenu pour atteindre la colline où m’attend Chaava, je ne puis m’empêcher de penser à mon Dadabé. Que fait-il en ce moment précis ? Est-il au champ ou à la pêche ?

Soudain, une voix douce me sort de mes interrogations :

— Te voilà enfin Wanakat. Je suis Xapari. Mon grand-père Chaava m’a dit de t’attendre au pied du banian. Quand j’y suis arrivé, je ne trouve que ton sac TBS et la pagaie magique, bien rangés.

Les plumes de ma tête se sont redressées. Du haut de ma petite taille, je remarque ce petit garçon à l’allure décidée qui parle avec assurance. Sa présence me rassure. Le fait de m’avoir appelé par mon nom fait naître dans mon cœur un grand espoir. Il a le torse nu et juste un tissu tressé en fils de pandanus, serré à la taille pour seul vêtement. Ses cheveux, ramassés en queue de cheval sur la nuque, lui donne un air d’adolescent plus grand que son âge. Sentant que j’ai de la peine à lever en permanence la tête, il se baisse comme pour mieux me dévisager. Son visage s’illumine d’un large sourire.

— Je suis Wanakat, comme tu le sais, reprends-je. Je dois retourner à la colline de la mandarine bleue avant le coucher du soleil.

— Je sais, me dit-il. Si tu le permets, nous pouvons partir tout de suite.

Tout à coup, nous entendons des aboiements de chiens. Cela doit être sûrement des hommes qui font la chasse. Xapari a juste le temps de me saisir dans ses mains quand un cochon sauvage, poursuivi par les chiens, manque de m’écraser.

Xapari se met à courir vers la vallée. Emporté par son poids il tombe et glisse le long de la pente jusqu’au fond de la vallée. Il doit son salut à un niaouli qui amortit heureusement sa chute. Les chiens continuent d’aboyer poursuivant leur proie. En ce moment au vu de la rivière qui coule près du niaouli, j’ai eu soif. Xapari entre les pieds le premier dans l’eau. Je bois quelques gorgées de cette eau fraîche des montagnes. Il me relâche pour traverser le gué.

Nous longeons le lit de la rivière en silence pour mieux se remettre de nos émotions. Pendant un bon moment, nous profitons de ce calme tout en marchant. Sans s’en rendre compte, nous traversons forêts, plaines, rivières et collines ; encore et encore nous laissons derrière nous, forêts, plaines, rivières et collines. Le silence devient lourd…. Alors, Xapari prend l’initiative de le rompre.

— Sais-tu que la mer est notre papa à tous et que la terre est notre mère ? Sais–tu que quand il y a du vent et des cyclones, c’est que la mer, notre Papa, baille et souffle ? Sais-tu que quand la terre refuse de produire des aliments et de nous donner la nourriture c’est que la mer, notre papa lui a tourné le dos ? Sais-tu qu’un tremblement de terre n’arrive que quand la terre notre mère cherche à soigner les blessures que lui inflige l’homme ? Sais-tu qu’avant que les hommes ne peuplent la terre, le cagou savait voler et que ce n’est qu’après avoir gagné la confiance de l’homme qu’il ne vit plus la nécessité de voler ? En plus, on dirait qu’après avoir perdu la faculté de voler, il perdit progressivement sa faculté de la marche. Le cagou, poursuit-il c’est…

— Qui est-ce qui t’apprend tout cela Xapari ? lui demandé-je, en l’interrompant.

— C’est mon grand-père Chaava qui me dit tout cela et moi je prends plaisir à l’écouter pendant des heures. Ainsi, il me transmet la science et la sagesse de nos ancêtres…

Xapari parle encore lorsqu’une voix nous dit :

— Bienvenue à toi Wanakat dans le domaine sacré de la mandarine bleue. Je suis Chaava. Merci à toi Xapari. Je sais, Wanakat, que tu es hanté par tes rêves. Le secret de tout cela, c’est ton grand-père Dadabé qui le détient. Il te le confiera quand ta tournée prendra fin. En attendant, le soleil va bientôt finir sa course et il te faut redevenir le petit garçon que tu es. Ma mission s’achève ici.

— Comment dois-je faire alors pour redevenir le garçon que je suis, demande-je au vieux Chaava.

— Je n’ai pas le droit de te le dire. Je vais juste te donner des indices. Ecoute bien : En venant ici, tu as croisé deux sortes d’animaux qui se poursuivent n’est-ce pas ? Il te suffit de parler le langage de l’un des deux animaux en touchant le mandarinier bleu pour retrouver ta forme humaine… Bonne chance à toi Wanakat.

En disant cela, il prend la main de Xapari et repart sur ses pas. Xapari a juste le temps de me faire signe de la main…

La peur me glace le sang. Il me faut, non seulement, retrouver un mandarinier précis, mais aussi, me souvenir des animaux croisés lors de ce parcours jusqu’à cette colline… Et cela, avant le coucher du soleil. Comment reconnaitre le mandarinier bleu dans un tas d’autres mandariniers ? C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Quels sont, d’ailleurs, les animaux croisés et quel est leur langage ?

Affolé, je me précipite d’un pas mal assuré dans le verger des mandariniers. Sans le vouloir je me mets à hurler de peur ou plutôt, à aboyer comme un chien qui traque sa proie. Et d’ailleurs, le cri du cagou ne ressemble-t-il pas aux aboiements d’un chien ? En titubant, je déploie mes ailes pour garder l’équilibre. Je glisse sur une pierre. En voulant me rattraper, je suis projeté avec violence sur un mandarinier. Je n’ai pas eu le temps de sentir la douleur quand j’entends mes os craquer. Je sens qu’ils s’allongent. Pris d’un vertige subit, je me suis évanoui…

Quand je me réveille, je suis allongé devant le banian. Mon petit sac BTS et ma pagaie sont là et bien là ! Combien de temps ai-je dormi ? Je ne le sais. Je sens une joie intense dans mon cœur, heureux de savoir que je suis redevenu Wanakat, le petit garçon d’Ouvéa, prêt à aller vers d’autres aventures.

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[tab name = « Chapitre 5 »]
ECART

Chapitre 5 | Taremen – Maré

Gros crabe de cocotier crapahuteur

A la tombée du jour, je me réveille de mon voyage. Dans mes rêves, mon grand-père Dadabé m’a fait revoir l’île de Maré, où poussent des pieds de santal parfumés, des avocatiers aux fruits de couleurs différentes et d’espèces variées. Je me trouve dans la baie de Cara, en plein milieu de la plage au nord de l’île de Maré juste en face de Lifou. Je contemple le décor exceptionnel qui s’offre à mes yeux.

C’est une baie extraordinaire protégée des vents et des marées par de grands récifs posés sur le sable qui font office d’abris naturels. La plage qui la borde laisse entrevoir derrière elle d’immenses cocotiers et une végétation luxuriante, et le sable blanc est d’une couleur éclatante. La mer est calme, et les oiseaux dans le ciel entament leurs chants mélodieux. En observant les grandes falaises vers le sud de l’île, je décide de me diriger dans cette direction pour rechercher l’esprit gardien des falaises, comme me l’a recommandé Dadabé.

Après des heures de marche et une fatigue qui commence à se faire ressentir, je vois au loin une silhouette. C’est un homme d’une taille imposante, et à mesure qu’il avance, je découvre peu à peu les différents aspects du personnage. Il a un regard imposant, et son torse nu laisse voir des muscles impressionnants. Je me dirige quand même vers lui, mais un cri puissant m’arrête sur place :

—  Qui ose troubler mes lieux ? Qui es-tu ? Que veux-tu ?

Je prends peur mais réussis tout de même à balbutier quelques mots :

—  Je m’appelle Wanakat. Je viens vous voir pour m’aider à affronter une épreuve.

—  Je suis Pa Koradran, moi qui te parle, je suis l’esprit gardien de ces falaises. Les gens de  cette île me craignent car je suis doté de pouvoirs fabuleux, la faculté de comprendre ton langage et même le pouvoir de prendre l’apparence de n’importe quel animal.

—  Je suis le voyageur envoyé par mon grand-père Dadabé. Et je lui raconte tout mon périple.

—  Je le sais, car tout ce que tu me dis, je l’ai vu en vision. Je vais te transformer en crabe de cocotier, et tu vas vivre la vie d’un crabe de cocotier jusqu’à demain matin, car la nuit est déjà là.

Aussitôt, Pa Koradran prend une potion magique fabriquée à base de feuilles et l’applique sur moi. Mon corps se met à s’agiter dans tous les sens et dans les convulsions la transformation est en train de s’opérer : ma peau se transforme en une carapace solide, mes mains et mes pieds se métamorphosent en des pinces : grandes à l’avant et petites et allongées à l’arrière. Mes yeux laissent place à deux énormes antennes. Je suis bien devenu un crabe de cocotier ! Je garde mes émotions humaines, mais mon corps est bien celui d’un crabe.

Je me sens solide et invincible dans mon nouveau corps bleu-gris à reflets métalliques. Je suis comme une voiture blindée. Rien ne m’arrête, j’écrase les petits sur mon passage, j’entends même des bruits de fuites quand j’avance. Je m’aventure sans crainte dans les chemins sinueux et chaotiques de la forêt.

Mais j’ai faim ! Je grimpe sur un pied de cocotier, mais je tombe ! Difficile, sans préparation ni entraînement… Je réessaie, mais après plusieurs tentatives, j’abandonne. Je reprends mon souffle et repars crapahuter sur les rochers à la recherche d’un dîner, petit coquillage, oiseau tombé du nid, un fruit quelconque, je ne suis pas difficile, je mange de tout. Rien !

Et voilà que je sens une bonne odeur de coco qui m’attire. Je m’arrête pour respirer à fond l’air, je me repère. Ca y est, je suis dans la bonne direction. Le coco coupé en deux est accroché sur un bout de bois pointu planté à côté d’un trou. J’ai l’impression que quelque chose n’est pas normal : le fruit est sur du bois et non pas sur le sol ? Mais mon ventre gargouille, j’ai trop faim !

Pendant que je déguste ma noix de coco, des pas s’approchent doucement derrière moi, des lumières vives, et une main d’homme me saisit par le dos et m’arrache à mon repas. Le pêcheur tout content me montre à ses camarades : « Quel beau crabe ! Au moins trois kilos ! » Je me tortille, je balance mes pattes dans tous les sens. Je rassemble toute mon énergie, je ne veux pas finir dans une marmite ! Voilà que mon pêcheur s’énerve, j’en profite pour attraper un doigt avec ma pince et coince très fort. Le pêcheur hurle, ouvre la main et secoue pour dégager son doigt. Je tombe sur les feuilles de cocotier, je me fais mal au dos. Vite je m’enfuis loin du piège des hommes, j’ai peur de rester là. Et je me dis que je ne veux pas continuer à rester crabe de cocotier.

J’ai toujours faim ! Je cherche de la nourriture, j’avance sans regarder ma route. Tellement que sans faire exprès, je tombe. Je ressens une très grande douleur. Je suis tombé dans un trou profond, j’ai le vertige, j’ai peur. Je croyais que j’allais mourir, je me suis évanoui. Je croyais que ça allait finir mais pas comme ça. En plus je ne peux plus respirer pour un crabe. Il fait si chaud, si noir. Ensuite je tremble dans mon corps. Je panique. En tombant, je me suis cogné la tête sur un caillou. J’ai mal sur ma tête, je suis sonné. Je suis seul et j’ai très faim.

Je suis dans ce trou profond quand j’aperçois un petit serpent brillant ramper sur le mur de rochers. Rayé de blanc et noir, avec une petite tête, des yeux tout petits, il me voit au fond du trou. C’est Bécé le tricot rayé. Je lui demande de m’aider à sortir du trou.

—  Comment faire pour t’aider ?… Reste calme, je reviens.

Bécé part chercher ses amis.

—  Essaie de grimper sur les racines que nous allons te lancer !

Je m’accroche comme le tricot rayé m’a conseillé.

—  Ca marche ! Je m’en sors !

Arrivé à la surface, je remercie mes amis tricots rayés de m’avoir aidé. Puis Bécé me donne  à manger une bonne noix de coco.

Je lui demande alors le chemin pour retrouver Pa Koradran, l’homme-esprit qui  m’a transformé en crabe de cocotier. Je suis épuisé, terrorisé, j’ai trop mal au dos, à la tête. J’ai décidé de redevenir humain. Je retrouve le gardien de la falaise :

—  Vous vous rappelez de moi ? Wanakat, le petit-fils… Non, Wanakat-le crabe. Enfin… vous m’avez transformé en crabe. Je suis revenu vous demander de l’aide.

—  Comment ça, de l’aide ?

—  Je veux redevenir humain car c’est trop dur la vie d’un crabe de cocotier !

—  Tu as jusqu’au lever du soleil pour te décider. Tu as bien réfléchi ?

—  Oui, c’est décidé !

Je vois Pa Koradran fermer les yeux, ouvrir les deux bras et murmurer des paroles que je ne  comprends pas. Je sens mon corps s’agrandir, ma carapace est trop petite et mon dos grossit de plus en plus. Ca me tire de partout !

—  Aïe ! J’ai trop mal au dos, au secours ! Je suis coincé dans ma carapace !

Tout à coup ma carapace commence à se déchirer, c’est comme un grincement de porte. Mes mains, mes bras s’allongent, mes pieds, mes jambes aussi. Ma carapace se détruit en mille morceaux.  Je me mets debout, je m’étire :

—   Ah, ça fait du bien d’être humain ! Merci beaucoup, Pa…

Plus personne. Je prends mon BTS et pars à la recherche du banian.

Je sors de la forêt et lève la tête pour regarder le sommet de la falaise. De loin je reconnais le banian géant, « ye awa » l’appellent les gens d’ici en langue nengone : des racines sortent de ses branches, ses feuilles si minuscules comme de petits cafards, ses fruits, et des roussettes volent autour. Son tronc est blanc avec des taches noires, et quand le soleil l’éclaire, il brille et devient foncé. Ses branches vont si haut que je pourrais grimper jusqu’aux nuages.

Le soleil se lève à l’horizon. Je m’installe confortablement dans un creux du tronc à l’ombre du banian, et frotte ma pagaie magique pour ma prochaine destination.
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Rédigé par les classes de 5ème sous l’égide de l’auteur Corinne Albaut,les aventures de Wanakat est le récit d’un petit garçon parti d’Ouvéa chercher les ingrédients d’une potion qui permettra à son grand-père, Dadabé, de repousser les moustiques qui envahissent son île.
ECART
Introduction

Le vieux Dadabé

Le vieux Dadabé se grattait la tête, perplexe. Cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu d’invasion de moustiques dans le village. Et voilà que ce matin, le fléau était revenu, sous la forme d’un énorme nuage sombre descendu tout droit du ciel, dans un vrombissement d’ailes furieuses.

Les moustiques !

Il y en avait partout, agglutinés aux arbres, accrochés en grappes sur les murs, formant un tapis noir et grouillant sur le sol. Ils se collaient à la peau des gens, comme des vampires avides de sang.

C’était la panique chez les habitants.

Le vieux chef Dadabé était le seul à pouvoir venir à bout des envahisseurs. Mais pour réussir, il lui fallait deux éléments : la formule magique, et un élixir qu’il devait faire brûler en prononçant les mots.

La formule, il l’avait retrouvée, en cherchant au fond de sa mémoire :

Démons ailés, allez-vous-en !

Partez avec le vent.

On ne veut pas de vous,

Ne revenez jamais chez nous.

Quant à l’élixir, c’était un autre problème.

Il venait de découvrir avec horreur que le flacon était vide. Il n’en restait plus une goutte. Quelle catastrophe !

Il devait trouver une solution très vite, sinon le village allait être dévasté, et de plus, Dadabé perdrait tout son prestige.

La recette de l’élixir magique était écrite dans son grand livre secret. Il fallait, pour la réaliser, huit ingrédients, provenant de huit lieux différents.

Hélas, il n’avait plus la force de courir les îles pour les rassembler.

Il appela son petit fils Wanakat, pour le charger de la mission :

— Wanakat, tu es grand maintenant. C’est à toi de remplacer mes pauvres jambes usées. Voici la liste des ingrédients nécessaires à la fabrication de l’élixir anti-moustiques. A toi de partir à leur recherche. Tu as huit jours pour te les procurer :

De Poum, tu rapporteras une porcelaine fluorescente.

De Kaala Gomen, une pierre ardente

De Houaïlou, trois poils de la roussette blanche

De Canala, une mandarine bleue

De Maré, une goutte d’essence du santal de l’îlot solitaire

De Wé, une noix du cocotier bibiche

De Chépénéhé un tronçon d’igname serpent

D’Ouvéa, une plume de la perruche d’or

Il lui glissa la liste dans la main, et lui passa autour du cou un talisman pour que la chance l’accompagne :

— Voici la pagaïe magique qui t’aidera à voyager d’un lieu à l’autre. Ne la perds surtout pas, et à présent, suis-moi.

Dadabé mena son petit-fils Wanakat vers le grand banian à la sortie du village. Il l’aida à pénétrer dans le fouillis de racines où il se laissa glisser, la main gauche serrée sur la petite pagaïe qui allait le guider le long du fleuve de bois souterrain jusqu’à Poum, première étape de sa quête.

ECART
Chapitre 1 | Boaouva Kaleba – Poum

La porcelaine fluorescente

Wanakat se retrouva au pied d’un banian, qui ressemblait à celui qu’il venait de quitter. Autour de lui, il vit des collines rouges, des niaoulis. Tout était différent d’Ouvéa. Il sortit de la forêt et se retrouva au bord d’une route, près d’une rivière. Sur un panneau était écrit Nehoue mais il ne savait pas de quel coté se trouvait Poum. Il  entendit des bruits de pas derrière lui et se retourna. Il vit un homme.

— Bonjour, dit l’homme.

— Je m’appelle Wanakat. Je suis d’Ouvéa. Connaissez-vous la direction de Poum ?

— Suis-moi, je vais t’y conduire.

Ils rentrèrent encore dans la forêt mais Wanakat s’aperçut très vite qu’ils repassaient aux mêmes endroits.

— Pourquoi tournons-nous au même endroit ? demanda Wanakat.

— Pour aller à Poum, il faut que je fasse mon pouvoir magique, répondit l’homme.

Il plongea la main dans son sac à dos et en ressortit un bout de bois. L’homme tenait le bois par un bout et demanda à Wanakat de le tenir par l’autre bout et de fermer les yeux. L’homme chantonna doucement la chanson de son pouvoir magique. Wanakat ne comprenait rien des paroles mais ils s’envolèrent dans les airs.

— Où sommes-nous ?

— Je ne peux pas te le dire, mais surtout n’ouvre pas les yeux.

Après un long moment, l’homme dit :

— Tu peux ouvrir les yeux maintenant, nous sommes arrivés à Poum, à la tribu de Tiich. En bas de la colline, tu trouveras la maison du chef. Wanakat ouvrit les yeux. Il était à Poum, mais seul. L’homme avait disparu.

— C’est pas possible ! Il y a un moment, je lui parlais encore !

Il descendit le sentier qui menait chez le chef. Un jeune garçon l’aperçut, le conduisit  au chef. Wanakat lui présenta son geste coutumier, un paréo et une monnaie kanake que Dadabé lui avait préparés pour chacune de ses destinations.

— Pouvez- vous m’indiquer l’endroit où je pourrais trouver une porcelaine fluorescente ?

Le chef répondit :

— on dit que cette porcelaine se trouverait peut-être là-bas, au large. Mais je vais demander aux vieux.

Le lendemain, le conseil des anciens se réunit. Les vieux, qui avaient entendu parler de cette porcelaine, n’étaient pas tous d’accord sur le lieu où elle se trouvait. L’un disait qu’elle se trouverait à Belep, à un endroit appelé Païromé, gardée par des lutins jaloux et méchants. Un autre disait que, d’après une légende, un vieux bagnard l’aurait cachée au fond de la mine Pilou, entre Arama et Ouégoa. Un autre encore prétendait que la porcelaine se trouvait sur un des nombreux îlots au large de Poum, mais lequel ? Le chef prit alors la parole et dit :

— Il y a longtemps, mon grand-père m’a indiqué où se trouve cette porcelaine. Elle est là-bas à Tia, dans le domaine des morts qu’on appelle Shaaviluc dans la langue d’ici.

Mais on ne peut pas y aller comme ça ! Même si on autorise Wanakat à y aller, il faut d’abord lever l’interdit du lieu. Ensuite il doit boire la potion qui lui permettra de voir et de respirer sous l’eau s’il veut ramener la porcelaine.

Wanakat eut l’accord du chef et des anciens pour se rendre à Tia. Dans l’après-midi, le chef l’emmena au point de vue de Poum qui domine le village. Il lui montra les différents îlots et au loin là-bas, derrière Baaba, l’îlot Tia.

— Tu trouveras la porte du domaine face à la grande case de Neba. Dans l’eau, il y a un grand caillou blanc. C’est à cet endroit que tu devras attendre.

— Attendre quoi ? demanda Wanakat.

— Attendre que la porte s’ouvre. Mais elle ne s’ouvrira que s’il y a un décès à Poum.

L’esprit du défunt passera par cette porte pour rejoindre le domaine.

Wanakat eut peur.

— Quand la porte s’ouvrira, il y aura des remous à la surface de l’eau. C’est à ce moment qu’il faudra descendre et faire vite avant qu’elle ne se referme. Pour le moment, il te faut boire la potion. Je t’emmène chez le guérisseur.

Peu de temps après, Wanakat avait avalé la potion amère qui lui permettrait de descendre sous l’eau. Le chef et les anciens lui dirent :

— Nous venons de lever pour toi l’interdit du domaine des morts. Tu peux y aller… Mais fais attention ! Si tu échoues,  nous ne pourrons rien faire pour toi.

Alors Wanakat dut se rendre à Shaaviluc.

Pour ce faire, il lui fallait traverser la baie de Boat Pass et trouver au-delà du récit l’îlot Tia.

Il se construisit un radeau en bambou et commença sa pénible traversée. Shaaviluc était le lieu du passage des morts. A marée basse, des dalles de coraux s’ouvraient au passage des esprits vers Le pays d’en bas.

Cependant Wanakat avait aussi appris que la porcelaine fluorescente était en possession du gardien de ces lieux, Ciixa.

Lorsque Wanakat arriva sur l’îlot, il arrima son radeau et attendit… attendit.

Tout à coup, un claquement retentit. Un mort cherchait le passage. Le jeune garçon nagea vers la porte aux esprits. Il s’y engouffra. Une lumière resplendissante lui permettait de voir dans ce tunnel de corail comme en plein jour.

Wanakat avança prudemment.

Soudain, il aperçut une énorme et monstrueuse silhouette. C’était Ciixa le gardien, le poulpe géant. Ses longs tentacules s’agitaient dans tous les sens. Heureusement pour notre héros, il semblait être endormi.  Le garçon aperçut la porcelaine accrochée à l’un de ses longs bras gluants. Wanakat n’avait pas l’intention de le réveiller car il risquait de finir son voyage dans l’estomac de l’énorme bestiole.

Il s’en approcha sur la pointe des pieds, mais un autre claquement retentit annonçant l’arrivée d’un défunt. Ciixa ouvrit un œil, Wanakat eut alors l’idée de chanter une petite comptine qu’il avait appris avec des enfants de Poum, de Belep, d’Arama et du Vanuatu sur la plage, quand il construisait son radeau :

Mo ta héré, Mo ta héré, pali oli pali oli, tchutchuplé tchutchuplé !

Il la chanta doucement, c’était presque un sifflement à l’oreille du monstrueux poulpe.

Ciixa se rendormit. Wanakat s’empara de la porcelaine, il fallait faire vite. Le passage était en train de se refermer. Il se dirigea vers la sortie et récupéra le radeau.

Arrivé à la plage de Tiich, le jeune garçon partit à la recherche du Banian à Grande Vitesse. Il le trouva fier et majestueux, se dressant de toutes ses branches, près de Nénon.

Le petit garçon toucha la pagaie magique donnée par son grand-père Dadabé tout en ayant une pensée pour lui.

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Chapitre 2 | Baganda – Poum

La pierre ardente

Quand Wanakat sortit du banian, il vit qu’il était à Gomen situé à une cinquantaine de kilomètres de Poum. Il arriva près d’un champ de maniocs. A quelques pas de là, il aperçut une vieille femme courbée vers le sol. Elle se relevait lorsqu’il lui fit signe, en guise de bonjour. Son regard devint sombre, elle s’écria :

—  Qui es-tu ? Que fais-tu dans mon champ ? Tu n’es pas d’ici ?

—  En effet, mais n’ayez pas peur grand-mère, je cherche simplement le chemin qui mène à la tribu de Païta. Je suis d’Ouvéa et je voudrais rencontrer le chef.

J’ai besoin de conseils. Je suis envoyé par mon grand-père, le vieux Dadabé.

— Le vieux Dadabé ! Je l’ai bien connu, un homme drôle et généreux ! Viens, suis-moi, je vais te mener devant le chef.

Ainsi chargés de son panier de maniocs, ils firent chemin ensemble, se racontant beaucoup d’histoires. Mais ce sera pour une autre fois.

Elle l’emmena devant le chef, figure impressionnante, il était torse nu, simplement vêtu d’un bagayou, tenant à la main son bâton sculpté, vieilli par les années de pouvoir. Wanakat n’eut pas peur et s’approcha, à la main un bout de manou et une monnaie kanak que son grand-père lui avait remis pour ce moment de rencontre. Il déposa son geste devant le chef et se présenta.

Il fut surpris lorsque le chef lui dit :

— Wanakat, je t’attendais, j’ai vu le vieux Dadabé en rêve, il m’a dit que tu viendrais aujourd’hui et que tu aurais besoin de mon aide. Je te l’accorde.

Alors Wanakat se sentit mieux et expliqua l’objet de sa venue : son île était envahie de moustiques, pour fabriquer la potion anti-moustiques, le vieux grand- père avait besoin de plusieurs ingrédients dont la pierre ardente qui se trouverait, ici, à Gomen.

Le chef lui confirma que la pierre ardente existait bien selon les dires de son grand-père, mais, lui, ne l’avait jamais vue. Personne n’avait le droit de se rendre en ce lieu sauf pour une raison juste. Il pensa que c’était le cas et ne pouvait rien refuser à son vieil ami,  Dadabé qui lui-même un jour l’avait aidé. Il s’en souvenait. Il lui dit qu’elle était posée sur un arbre et précieusement gardée par un lézard gigantesque. Il lui dit aussi que pour approcher la pierre magique, il fallait endormir le gardien à l’aide d’une petite flèche qu’il possédait lui-même, transmise par son père. Il lui indiqua le chemin et lui remit une petite sarbacane, et une seule fléchette. Il veilla cette nuit-là et écouta le vieux chef plein de sagesse.

Wanakat partit à l’aube. De nombreuses gouttelettes tapissaient le sol et couvraient une multitude de petites fleurs sauvages qui se recroquevillaient encore endormies. Il frémissait, mais le courage lui fit accélérer l’allure. Il arriva à la croisée de chemins, Son instinct lui commanda de tourner à gauche. De bonne humeur, il traversa une clairière et aperçut un troupeau d’abeilles déjà au travail. Il eut envie de goûter à leur miel mais le temps lui manquait. Peut- être au retour s’il passait à nouveau par là.

Soudain, il resta pétrifié : un cochon sauvage aux dents énormes, noir comme du charbon, le groin menaçant encore plein de terre le fixait du regard. Que faire ? Fuir ? Pas question. Il fallait réagir vite avant que celui-ci ne lui fonce dessus et le blesse, sa mission serait compromise. Alors, il lança un cri si perçant que le cochon prit ses pattes à son cou et s’enfuit sans demander son reste, Quel courageux !

Il atteignit enfin la grande forêt, les arbres se resserraient. Une atmosphère étrange le mit mal à l’aise, Le danger l’attendait. Le sommet était proche, il ne restait que la falaise à escalader. Une pensée lui effleura l’esprit : Etait-elle encore là ? Un souffle d’air lui parcourut le dos. Il leva le nez, de gros nuages gris sombre menaçaient le ciel quand des éclairs les illuminèrent. La tempête avançait, Il s’inquiéta car il avait peur d’être retardé. Il lui fallait rapidement franchir ce pan de roches raide mais heureusement escarpé, il pourrait s’agripper facilement.

Cependant, la pluie rendait l’ascension difficile, Son grand-père lui avait dit un jour que la pluie provenait d’un esprit qui pleurait mais qu’elle engourdissait les bêtes de la forêt. Il pensa au lézard qui dormirait plus longtemps, Malgré tout, le vent le glaçait, il manqua à plusieurs reprises de tomber mais ses pieds et ses mains se fixaient comme une araignée géante. Une pierre dévala, il l’esquiva de justesse.

Le sommet approchait, une angoisse lui serra le cœur : il palpita. En effet, il pensa qu’il ne fallait pas manquer sa cible, une seule flèche et surtout qu’il ne fallait pas blesser le gardien des lieux, ce n’est pas à lui qu’il en voulait. Sa seule intention étant de prendre cette pierre qu’il gardait si précieusement. Le doute s’installa plus intensément : était-elle encore là ? Personne n’avait pu le lui assurer.

Wanakat était à présent tout proche du lieu. Une pensée pour son grand-père qui lui avait fait confiance. Cela l’encourageait. Il était fatigué. Quelques gouttes tourbillonnaient dans l’air froid. Il appréciait la fraîcheur, le regard silencieux.

Il marcha sur un épais tapis de branchages qui crissait sous ses semelles. Il sentit une forte vibration.

A ce moment là, une lumière douce s’étala, un calme apaisant surprit Wanakat.

Ses yeux s’écarquillèrent : des milliers d’ailes multicolores tournoyaient au sommet d’un arbre attirés par un champ magnétique. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Ses yeux clignèrent. Elle était là. Là, tout près. Le gardien aussi. Il réfléchit rapidement à l’attitude à adopter. Lentement, léger comme le vent, chaque pas effleurant le sol, il arma sa sarbacane et d’un geste précis l’activa. Elle se planta entre les deux yeux. Il fallait faire vite, le poison n’agissant que quelques secondes au risque de tuer la bête plus profondément endormi.

Il se hissa sans difficulté au sommet. Il était agile et souple, l’habitude de grimper aux cocotiers, chez lui. Tout près du but, une hésitation l’envahit. Si elle était lourde, comment allait-il la descendre ? Il s’accrocha à la dernière branche, un léger frémissement poussé par le vent écarta les papillons, il posa ses mains sur les bords. Scintillante, il la prit délicatement et fut étonné de sa légèreté. Sans tarder, il posa une autre pierre qu’il avait ramassée sur son chemin en espérant que le gardien ne s’aperçoive pas de la supercherie. Il n’avait plus le choix, il fallait quitter les lieux le plus rapidement possible. La bête allait se réveiller. Il remarqua, chose curieuse, que les papillons tournoyaient à nouveau. Cette pierre avait-elle, elle aussi, un pouvoir ? Il n’avait plus le temps de s’en préoccuper.

Un grondement se fit entendre, il fallait se presser, le temps se gâtait à nouveau, mais le cœur rempli d’une étrange sensation, le rendait heureux et fier.

Il avait réussi. Son grand-père serait lui aussi fier de son petit-fils.

Wanakat relâcha sa pagaie magique et se laissa mollement glisser sur un épais tapis d’herbes et de feuilles mortes. Il observa les alentours et fut surpris de ne pas voir un banian mais quatre autour de lui ! Par lequel était-il arrivé ? Par lequel allait-il devoir repartir ? Encore un mystère à résoudre avant de partir.

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Chapitre 3 | Dö Mwà – Canala

La mandarine bleue

Le jeune garçon vérifia qu’il avait bien sur lui tous les ingrédients courageusement dénichés jusqu’à présent. Maintenant qu’il était arrivé en pays Xârâcüü, il lui fallait poursuivre sa quête vers la mandarine bleue.

Il traversa la tribu de Mwârögu sans rencontrer personne. Tout était d’un grand calme, les oiseaux seuls sifflaient leur air préféré. Il parcourut plusieurs sentiers pendant un long moment. Désespérant de trouver quelqu’un, il décida de s’enfoncer dans la mangrove. Il avança difficilement dans la boue qui retenait ses pieds. Il faillit tomber plusieurs fois, il s’écorchait aux racines saillantes et se raccrochait aux branches pendantes.

Soudain il crut entendre des rires et des chants. Plus il progressait dans le fouillis des palétuviers, plus les rires devinrent forts et les chants clairs. Il découvrit un attroupement de femmes et d’enfants joyeux, il s’arrêta un instant. Il les vit se pencher et enfoncer leurs mains dans la boue visqueuse pour en ressortir des crabes énormes, bleus, dont il fallait vite lier les grosses pinces au risque de se faire pincer soi-même.

— Bonjour, leur lança-t-il, intimidé à la fois par la grosseur des crabes et par le nombre  de personnes.

Tous les yeux se fixèrent alors sur lui. Une vieille femme, extrêmement maigre, recouvertes de rides, habillée comme un épouvantail de plumes et de feuilles, s’avança vers lui. Sa bouche ouverte laissa apparaître ses rares dents jaunies :

— Bonjour, garçon. Que veux-tu ?

Les yeux malicieux et le ton de la voix chaleureux de la vieille l’incitèrent à se rapprocher et à se confier :

— Je m’appelle Wanakat, je viens d’Ouvéa. Mon grand-père, Dadabé, m’envoie ici pour trouver la mandarine bleue qui lui permettra de confectionner la potion magique qui sauvera mon île de l’invasion des moustiques.

— Viens, Wanakat, suis-moi, je suis mémé Nanîî, je vais t’aider mais tu vas d’abord te laver et te nourrir. Tu es aussi maigre et crotté qu’un ver de terre.

Ravi, il l’accompagna. Elle lui dit que ce jour était un grand jour de pêche : les crabes pour les femmes, les poissons pour les hommes. La lune, la marée, tout était réuni pour une grande pêche. Il voulut l’interroger sur la mandarine bleue mais elle resta silencieuse.

Après le repas de crabes et d’ignames, elle le renseigna enfin :

— Mon bonhomme, tu vas remonter le long de la cascade de Ciù. Ensuite, tu traverseras la montagne pour atteindre Emma. C’est là que tu iras trouver le chef qui te dira comment obtenir ce que tu cherches.

—  Merci beaucoup, Mémé Nanîî.

— Tiens, prends ce caillou avec toi, il est magique, tourne-le vers le ciel quand tu as besoin de passer un obstacle.

Wanakat s’engagea dans le chemin qui longeait la cascade. Il était impressionné de voir autant d’eau déferler sur les cailloux. A Ouvéa, c’était tellement difficile d’avoir de l’eau douce.

Au bout de sa pénible ascension, sous un soleil de plomb, il pensa se baigner. Une sorte de piscine d’eau limpide et fraîche semblait n’attendre que son plongeon. Mais il n’avait pas le temps.

Il admira une dernière fois la vue sur la baie de Canala, la terre rouge des montagnes, le bleu éclatant du ciel, le scintillement de la mer et le vert profond de la végétation : un vrai festival des couleurs !

Peu loin de là, sa marche fut stoppée par un  immense ravin creusé par les pluies. Au fond, il crut distinguer la forme d’un squelette, peut-être un animal avait-il chuté, peut-être un homme… Il préféra ne pas chercher plus longtemps et sortit le caillou de mémé Nanîî. Quelques secondes plus tard, ses pieds touchaient la terre de l’autre côté et il pouvait poursuivre sa route sans encombres.

Il parvint à la paisible tribu d’Emma assez rapidement. Un petit garçon, perché dans un arbre, au bord de la route, l’accompagna, sans aucune parole, jusqu’à la case du chef. Celui-ci était occupé à limer sa sagaïe sur une pierre. Ses bras musclés semblaient ne pas se fatiguer, il leva son long visage vers la porte.

— Pardon de vous déranger, chef, commença Wanakat.

Le chef invita le jeune garçon à s’asseoir et à exposer sa demande. Wanakat présenta son geste coutumier et raconta son histoire. Le chef hocha plusieurs fois la tête, ne prononça pas beaucoup de mots et sortit de la case, laissant Wanakat un peu désemparé.

Ce dernier entendit retentir le son sourd de la toutoute. Puis des  bruits de pas, des éclats de voix, une langue qu’il ne comprenait pas… Le chef retourna dans la case avec plusieurs hommes qui dévisagèrent Wanakat. Alors le chef prit la parole :

— Tu trouveras la mandarine bleue à Nüüya, en haut de la montagne, le mandarinier sacré qui porte ce fruit est facilement reconnaissable. Ton grand-père t’aidera. Quand tu cueilleras le fruit, fais-le avec tout l’amour que tu portes à ceux que tu veux aider, il deviendra bleu. Si ce n’est pas le cas, il deviendra rouge et apportera le malheur et la destruction sur le pays.

Le garçon suivit le chef et ses sujets jusqu’à l’entrée d’un immense verger de mandariniers. Là le chef s’arrêta et posa délicatement une fleur coupée sur un rocher :

— C’est pour dire à nos ancêtres de te préserver pendant  ta recherche.

Ils refermèrent la porte du verger. Wanakat resta planté, le cœur battant et l’estomac noué.  Les mandariniers chargés de leurs plus beaux fruits l’entouraient à perte de vue, les pas de Wanakat le dirigeaient toujours plus haut vers le sommet. L’odeur sucrée de chaque fruit lui donnait envie d’en goûter un.

Mais si c’était le mandarinier sacré ? Si la mandarine devenait rouge ? Il fallait d’abord remplir sa mission. Il continua, marcha, marcha, puis la fatigue le gagna, tellement qu’à peine arrivé au sommet, il s’évanouit.

Wanakat arriva dans le monde des rêves et rencontra son grand-père qui lui parla :

— Dirige-toi vers la lumière et tu la trouveras…

Lorsqu’il rouvrit les yeux, juste face à lui, une lumière inhabituelle le gêna.

Il se releva. Le mandarinier était là, flamboyant, cerné de lumière. Un seul fruit à la peau orange et brillante pendait à sa plus haute branche. Wanakat s’approcha de l’arbre et y grimpa. Il s’installa en dessous de celle qui portait le fruit. Le moment était arrivé. Sa main ne tremblait pas. Il la tendit vers la mandarine et concentra toutes ses pensées vers son île et ceux pour qui il luttait. La mandarine se détacha aisément, la couleur orange disparut, prit des teintes différentes puis vira au bleu. Il avait la belle mandarine bleue entre ses mains ! Wanakat sourit. Il dégringola de l’arbre, dévala la pente du verger.

A sa sortie, le petit garçon muet l’attendait et lui fit signe de le suivre. Ils s’installèrent sur une embarcation de bambous qui les emmena en peu de temps de la rivière Negropo vers la baie de Canala et sa mangrove. Là, de retour à Mwârögu, Wanakat se rappela son chemin jusqu’au Quatre Banians. Il ne savait toujours pas par lequel repartir. Il réfléchit et écouta. Il reconnut l’air sifflé par les oiseaux. Il s’aperçut en levant la tête qu’ils étaient tous perchés sur le même banian. Il choisit donc celui-ci, s’assit confortablement dans ses racines et pressa son talisman.

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Chapitre 4 | Taremen – Maré

L’essence du santal solitaire

Wanakat se retrouva dans une grotte comme un enfant perdu. Il avançait en tâtonnant, mais bientôt une lumière vive l’attira. C’était un trou assez large. Il se dirigea rapidement dans cette direction. Wanakat déboucha dans une grande cocoteraie, puis sur une plage ensoleillée apparemment déserte. La marée remontait.

Au bout de la plage il vit un homme sortir sa barque de l’eau et la tirer vers les faux tabacs bordant le rivage. Ne connaissant pas la langue de ce pays, il lui fit de grands signes avec les bras, et courut vers lui. Il s’aperçut alors que c’était un vieil homme aux longs cheveux blancs qui revenait de la pêche. Il était grand et robuste et portait juste un manou autour de sa taille. Wanakat l’aida à remonter sa barque sous les grands arbres aux troncs noueux. Aucun mot prononcé, ils soufflaient fort en tirant la barque. Wanakat était inquiet : comment allait-il expliquer au vieux le but de sa venue sur cette île inconnue ?

—  Alors, jeune étranger ? Comment es-tu arrivé par ici ? Je ne vois ni pirogue qui t’a laissé, ni personne qui t’a accompagné.

Le vieux pêcheur faisait maintenant face à Wanakat, les bras croisés sur sa puissante poitrine, et le regardait en silence jusqu’au fond des yeux. Panique. Il lui parlait, il voyait nettement ses lèvres bouger, son air interrogatif, légèrement soupçonneux, et une voix grave sortir de sa bouche. Mais… je comprends bien tout ce que dit ce Vieux !

— Bonjour Grand-père ! s’écria-t-il en s’élançant déjà vers le vieillard. Mais vous parlez notre langue Iaii ? Comme je suis content de rencontrer à Maré quelqu’un de mon…

— Tu te trompes, jeune étranger. Je m’appelle Pa Maï et je suis de la tribu de Hnawayac. Cette plage se trouve dans la baie Dua i Cara, au nord-ouest de l’île de Maré. Tu viens donc d’Ouvéa si j’ai bien compris ?

Le vieil homme comprenait-il donc ce que lui Wanakat racontait ? Il regardait Wanakat avec un air curieux et sa voix devenait plus gentille.

— Oui, Grand-père, je viens d’Ouvéa, et… c’est une longue histoire. Moi c’est Wanakat et mon cher Dadabe m’a…

— Je sais pourquoi tu es ici à Maré, interrompit le vieux pêcheur. Ton grand-père m’a parlé en rêve cette nuit. Par contre je me demande comment tu as fait pour venir jusqu’ici. Ca doit être encore un fameux tour de ton vieux Dadabe. Alors comme ça, tu veux rencontrer notre petit chef et lui demander ton chemin vers le santal de l’îlot solitaire ?

— Oui, Grand-père. Peux-tu s’il te plaît me conduire jusqu’à votre petit chef ?

— Je viens de rentrer de la pêche, et j’attendais ton arrivée avant de revenir à la tribu.

Viens, ne perdons pas de temps. Notre petit chef t’attend.

Ils marchèrent quelque temps en silence sous les bois qui débouchèrent sur une large route. Wanakat fut étonné de passer devant des maisons ouvertes mais vides :

— Les gens travaillent aux champs dans la journée, ils ne rentrent que vers le soir. Les enfants sont à l’école, au collège, et beaucoup restent à l’internat. Le Chef est chez lui, suis ce sentier, et au bout tu trouveras une grande maison. Là tu trouveras notre Chef.

Wanakat suivit les instructions de son vieux guide et trouva sans peine la chefferie entourée d’un muret de pierres. Il était fasciné par la taille de la case ronde avec le toit presque aussi haut qu’un poteau électrique en béton. Elle était en feuilles de cocotier. Une longue flèche faîtière était piquée au sommet du toit pointu : en bois sculpté, une forme de visage au milieu, une pointe en forme de flèche la terminait au bout.

— La flèche faîtière indique la case du chef ; elle sert aussi à la protéger, dit un jeune homme de Hnawayac à Wanakat. C’est comme un objet précieux et sacré pour les gens de Maré.

La porte, encadrée par deux imposants chambranles travaillés, était basse même pour sa taille. Wanakat savait que c’est pour le visiteur : il doit montrer le respect et l’humilité envers le petit chef. Il se baissa donc pour entrer. Dans l’ombre, il trouva le petit chef assis en tailleur sur une natte, et posée à côté de lui une canne en bois sculpté. Wanakat disposa sur la natte devant lui un manou, une monnaie kanak et un billet de mille francs, puis il recula et attendit.

— Bienvenue à Nengone, Wanakat. Je suis au courant de ta mission. Dodon est notre ilot solitaire au large de Maré. Oui, beaucoup de santal pousse sur cet îlot.

— Mais alors comment je vais faire pour reconnaître le bon arbre ?

— Mon père me disait autrefois qu’un esprit garde le lieu, et ce santal en particulier.

— L’arbre que tu cherches est à peu près de ta taille. Son tronc fin avec ses branches dirigées vers le ciel est reconnaissable avec des taches blanches et ses feuilles sont particulièrement petites. Tu entendras les bois-de fer, et surtout tu reconnaîtras le santal à son odeur très particulière. Mais voilà : il faudra que tu le trouves l’esprit gardien. Lui seul pourra t’indiquer lequel est l’arbre que tu cherches, il te donnera cette essence précieuse réclamée par ton Dadabe. Il te mettra à l’épreuve et tu devras accepter. Il faudra être rusé et courageux.

Wanakat sortit de la chefferie plein d’inquiétude. Quelles épreuves allait-il affronter ? Comment arriver jusqu’à l’îlot solitaire ?

— Par ici, Je vais te montrer la pirogue qui t’emmènera jusqu’à l’îlot de Dodon.

Le vieux pêcheur qui l’avait conduit jusqu’ici lui prit la main.

— La mer bouge un peu, mais le vent souffle du bon côté, tu vas y arriver rapidement. Mais tu y vas seul. Mon travail s’arrête ici. Salue bien ton Dadabe de ma part. Bon courage ! Bon vent ! Et n’oublie pas : tu ne dois pas crier sur l’îlot de Dodon !

Une pirogue, une bonne pagaie, Wanakat connaissait bien. Il se revoyait avec Dadabe et leurs longues parties de pêche au large des côtes d’Ouvéa : Dadabe plongeait et piquait les poissons, son rôle était de manœuvrer la pirogue. Pour lui c’était comme un jeu.

Il fut obligé de faire le tour de l’ilot solitaire pour chercher un endroit où accoster. Il arriva sur une petite plage abritée surmontée d’une falaise ; un grand banian poussait là-haut. Epuisé, il se reposa quelques instants pour reprendre ses forces. Puis il entreprit d’escalader la falaise. Après bien des efforts, il arriva au sommet et devant lui s’ouvrit une grotte. C’était une petite grotte sombre. Des dizaines de crabes de cocotier géants, d’un gris bleu métallique, barraient l’entrée. Les grosses carapaces s’entrechoquaient avec des craquements terribles. Menaçants les crabes balançaient leurs pinces énormes dans toutes les directions : les gardiens de cette grotte. Wanakat s’avança prudemment sur le côté sans faire face aux crabes et vit des inscriptions sur les parois du rocher ; il put lire :

Parle à l’oreille des crabes et ils me feront passer le message

Wanakat commença à expliquer le but de son voyage en s’adressant aux crabes, quand soudain une lumière blanche surgit du fond de la grotte et se dirigea vers lui. Il frissonna de peur : la vieille fée se tenait maintenant presque devant lui. Avec le visage recouvert de rides, ses cheveux blancs et sa petite taille, elle était vêtue de feuilles de cocotier et fixait Wanakat. Le jeune garçon murmura en tremblant légèrement :

— Vieille fée, je vous offre ce manou et une monnaie kanak. Je dois rapporter de l’essence de bois de santal de cet îlot solitaire. Retok Wahnid m’a dit que vous seule pouvez m’aider. Je suis envoyé par mon grand-père Dadabe. Il a besoin de cette essence pour…

— Je sais, les moustiques sur son île là-bas. Je vais t’aider. Mais d’abord tu devras trouver dans le lagon mon tricot rayé aux couleurs de l’arc-en ciel. C’est lui qui te guidera vers la forêt jusqu’à l’arbre que tu cherches. Tu entendras le bruit des bois de fer, et tu sentiras le parfum dans l’air. C’est lui aussi qui t’aidera à trouver la bague au fond du lagon, et tu dois me la rapporter. C’est la bague magique de ma pire ennemie, la sorcière Paace. C’était son bien le plus précieux. Elle l’a perdue, et croit que c’est moi qui lui ai volée. Et depuis, pour se venger, elle pille ma réserve de santal !

Un tricot rayé aux couleurs de l’arc-en ciel. Une bague magique égarée au fond du lagon.  Wanakat était très inquiet : réussira-t-il ces épreuves ? Le temps passait si vite…

Il pensa très fort à Dadabe et à son île envahie par les maudits moustiques : il ne devait pas se décourager.

Il marchait sur la plage en cherchant des indices. Il remarqua dans le sable une longue trace en profondeur dirigée vers la mer. Au passage, il saisit une épuisette au milieu de matériel laissé par des pêcheurs. Wanakat entra dans l’eau fraîche parfaitement calme ; elle était peu profonde. Devant lui, la surface de l’eau était comme ridée, puis légèrement agitée de petites vagues. Il s’avança doucement sans remuer l’eau. Puis il vit nettement le tricot rayé aux couleurs éclatantes nager au fond de la mer transparente.

Le serpent, long comme son bras, se dirigea vers lui et commença à tourner lentement autour de lui. Wanakat eut un mouvement de panique et cria. Le serpent disparut aussitôt. Wanakat se calma petit à petit, et se rappela les paroles de son guide : sur Dodon, il ne faut pas crier. Wanakat se mit alors à nager dans le lagon. Il plongeait de temps en temps en regardant à droite et à gauche et finit par repérer le tricot rayé qui revenait vers lui. Il tourna lentement autour du jeune garçon, puis se dirigea vers un gros rocher. Wanakat se mit à le suivre en nageant vite. Le serpent se mit à tourner autour du rocher, plongea sa tête dans un creux et recommença sa ronde autour du rocher. Wanakat manqua d’air ; il remonta à la surface, reprit une bonne bouffée d’air et replongea au-dessus du rocher. Il vit quelque chose scintiller dans un trou, et même quand les nuages cachaient le soleil, l’objet brillait de mille feux. Il plongea sa main et récupéra la bague. Tout de suite il l’enfila à un doigt pour ne pas la perdre.

Le tricot rayé traînait maintenant au fond de l’eau, comme s’il allait s’endormir. Wanakat replongea et le puisa sans difficulté. Il s’agita dans tous les sens mais Wanakat était rassuré : l’épuisette était profonde. La vieille fée gardienne de l’îlot solitaire et du bois de santal remercia Wanakat de son travail. Elle lui donna alors un flacon en cristal de forme ovale taillé de mille facettes reflétant la lumière :

— Tiens, prends ce flacon. Appuie-le penché au pied de l’arbre où te conduira mon tricot rayé. Coupe légèrement l’écorce et tu pourras recueillir l’essence du bois de santal. »

Il posa l’épuisette par terre et libéra le tricot rayé qui devait le guider. Il se mit à le suivre, quelquefois il était obligé de courir et lorsque le serpent disparaissait, il suivait sa trace par terre. Wanakat reconnut au loin, entouré de bois-de fer, l’arbre qu’il recherchait décrit par le petit chef.

Il avançait rapidement vers son but, quand un sifflement étrange lui frappa l’oreille. Brusquement d’énormes lianes fouettent l’air devant, derrière lui et s’abattent tout autour de son corps. La sorcière Paace se vengeait… Wanakat se débattait de toutes ses forces, mais il n’avançait plus, les lianes le serraient tellement qu’il se sentit étouffer. Il allait tomber quand soudain il reconnut la voix de son grand-père :

Sers-toi de ton talisman, Wanakat, vite !

Le jeune garçon rassembla ses forces et réussit à attraper le talisman avec sa main droite. Aussitôt les lianes se relâchèrent, s’ouvrirent et se replièrent, libérant Wanakat. Il se mit aussitôt à courir vers le santal maintenant tout proche. Il pouvait entendre le bruissement des bois-de fer. Et surtout un  parfum léger et doux flottait dans l’air et rassurait Wanakat : il arrivait à son but. Il appuya son flacon au pied du santal et juste au-dessus entailla légèrement l’écorce du tronc élancé. Quelques gouttes dorées et odorantes tombèrent lourdement au fond du flacon. Et l’entaille sur le tronc se referma aussitôt.

Wanakat devait se dépêcher maintenant. Il courut vers la falaise surmontant la petite plage où il avait accosté. Le grand banian était bien là. Wanakat s’installa avec soulagement dans un creux entre les grosses racines et prit dans sa main la pagaie magique accrochée à son cou donnée par son Dadabe. La prochaine étape de son périple était l’île de Lifou.

ECART
Chapitre 5 | Havila – Lifou

La noix du cocotier bibiche

Quand il reprit ses esprits, il sut tout de suite qu’il était sur la plage de Luecila à Lifou, dont on lui avait tant parlé. De cette magnifique plage, il voyait des cocotiers à perte de vue. Mais, surtout des arbres de tous les verts, et quelques chemins allant aux cases, ou serpentant sur la colline. C’était un endroit accueillant, superbe,  avec des oiseaux qui chantaient joyeusement sur un grand manguier. Quand Wanakat toucha le sable, il était fin et blanc. Il demanda aux femmes du village qui tressaient des nattes devant leurs cases où se trouvait leur chef. Elles lui indiquèrent sa case, et il s’y rendit aussitôt.

— Bonjour, dit Wanakat, et excusez-moi, vous êtes bien Haudra, le petit chef de la tribu de Luecila ?

— Bonjour, oui, mais qui es-tu? D’où viens-tu? demanda le chef, tu n’es pas de chez nous, alors serais-tu de la tribu de Qanono ?

— Non, répondit Wanakat, je suis d’Ouvéa, et je viens demander votre aide. Les moustiques font des ravages sur mon île, et je suis chargé de ramener les ingrédients nécessaires pour faire un remède qui les chassera. Je dois donc, ici, trouver  une noix de coco du cocotier bibiche.

— D’accord, acquiesça le chef. Je t’emmène chez la vieille Wazana qui est la femme du pasteur, elle pourra t’aider.

Ils marchèrent longtemps.

— C’est ici, dit-il en désignant un vieux temple. Je te laisse et je te souhaite bonne chance.

— Merci, dit Wanakat.

Il entra et vit une vieille femme aux cheveux blancs. Elle avait des yeux malicieux, un nez camus et des mains noueuses. Après avoir tout raconté, Wanakat se tut et laissa parler la vieille.

— Je veux bien t’aider mais malheureusement je ne pourrais t’accompagner car le chemin est périlleux. Le cocotier bibiche se trouve au sommet de la falaise de Lakonyi. On raconte que ce cocotier est vivant, qu’il s’amuse à disparaître. Tu le reconnaîtras facilement : il a un tronc qui se sépare et ses noix sont énormes. Mais tu as un autre problème bien plus grave : ce lieu est le repaire des Wananathin. Ce sont des femmes de grande taille qui dévorent les voyageurs imprudents. Regarde, je te confie ces objets qui t’aideront dans ton périple. Ce casse-tête a appartenu à l’un des mes ancêtres. Il s’appelait Sissiwanyalo et c’était un grand guerrier. Quant à ces plantes séchées, elles te permettront en cas de besoin d’invoquer les esprits de mon clan. Ils pourront te venir en aide. Tu verras qu’ils sont assez particuliers. Je dois maintenant te laisser. Que Dieu t’assiste dans tes épreuves mon garçon !

La vieille lui laissa le casse-tête et les plantes magiques puis s’en alla. Wanakat la remercia et partit. Il demanda à quelques personnes où se trouvait la falaise de Lakonyi. Quelques heures plus tard, il la trouva enfin et commença péniblement son ascension.

A mi-parcours, il fut pris de vertige et il fut tenté de rebrousser chemin mais un pigeon vert lui apparut et à sa grande surprise, lui glissa quelques mots à l’oreille :

The xei kö ngo trojë !

Il avait reconnu cette voix grave et apaisante. C’était celle de Dadabé, son grand-père. Une fois de plus, ses encouragements lui donnèrent confiance et il reprit sa montée avec plus de vigueur. Le soleil avait déjà disparu lorsqu’il arriva au sommet. Wanakat était épuisé et affamé. Contemplant la nuit étoilée, il s’endormit aussitôt, laissant échapper de sa besace en pandanus deux feuilles séchées. Il fut réveillé au beau milieu de la nuit, par ce qui semblait être une dispute. Il découvrit deux petits êtres aux oreilles pointues qui se chamaillaient copieusement.

— Tu n’en fais qu’à ta tête. Je t’avais dit de l’attacher. Quel idiot, tu fais !

— Et voilà, c’est encore de ma faute. Je pensais que tu l’avais assommé ce rat.

On aurait dit des petits lutins. Ils étaient habillés d’un  pagne, avec un gros collier de coquillages sur le cou.

— Et voilà. Tu l’as réveillé ! dit celui qui semblait être le plus âgé. Tu excuseras mon jeune frère. Il a laissé échapper notre dîner. Nous nous contenterons de ces petites ignames grillées. Tu as faim ?

— Je suis affamé. Mais dites-moi, qui êtes-vous ?

— Comment ? Wazana ne t’a pas parlé de nous. Quelle ingrate ! Ah ! Depuis qu’elle s’est mariée avec ce pasteur… Nous sommes les esprits protecteurs de  son clan.

— Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les Wananathin ?

— Ce sont d’horribles monstres. La légende raconte qu’elles appartenaient à un ancien clan du district de Lössi. Elles ont refusé l’arrivée de la religion et ont été bannies par la grande chefferie Boula. Depuis elles rôdent dans cette partie du territoire et attrapent leurs victimes avec leurs seins qui pendent. Elles ont de longs cheveux et portent souvent leurs enfants à l’envers.

— Comment puis-je les vaincre ? demanda le jeune homme visiblement inquiet.

— Sers-toi du casse-tête de Sissiwanyalo pour les tuer mais tu dois absolument éviter d’être blessé par elles car leurs seins et leurs griffes sont empoisonnées. Mange maintenant et repose-toi, tu auras une longue journée demain.

Wanakat ne se fit pas prier. Il ne mit pas longtemps à se rendormir mais cette nuit-là, son sommeil fut agité par de nombreux cauchemars. Le lendemain matin, il se réveilla frais et dispos. Ses mystérieux amis avaient disparu. Il vit deux feuilles séchées près de la besace, où il les remit rapidement. Et notre héros reprit sa route, avec l’espoir de trouver enfin le fameux cocotier. Il suivait le bord de la falaise depuis un certain temps, quand il entendit soudain une drôle de petite voix :

— Qui va là ? Qui va là ?

— C’est moi, Wanakat. Mais où êtes-vous ? Je ne vois personne…

— Mais où êtes-vous ? Je ne vois personne… répéta étrangement la voix.

Et à chaque fois que Wanakat  disait une parole, la voix la répétait, comme si un petit enfant jouait avec lui, caché derrière un arbre.

Wanakat commençait à s’impatienter, quand soudain, une forme apparut devant lui.

Mais ce n’était pas un enfant. C’était une très vieille femme, de grande taille, aux longs cheveux blancs et aux seins qui pendaient jusqu‘à terre. Dans ses bras, elle portait un jeune enfant qu’elle tenait par les pieds. Une Wananathin ! Wanakat se crut perdu.

Il tenta tout d’abord de s’enfuir mais déjà les seins du monstre se rapprochaient dangereusement de lui. Immédiatement, il prit le casse-tête et assena un formidable coup sur une des ces étranges mamelles. Il ne put cependant éviter le coup de griffe de l’enfant. Puis les deux êtres maléfiques disparurent mystérieusement dans la forêt.

Se sentant perdu, Wanakat tira rapidement de sa besace quelques feuilles mais n’eut pas le temps de les mâcher car il s’évanouit aussitôt.

De nouveau, un de ces nouveaux alliés se matérialisa et lui prépara une décoction qu’il appliqua soigneusement sur la plaie. Le lutin veilla sur notre jeune héros pendant des heures. Wanakat se réveilla et découvrit avec stupeur que sa plaie était complètement guérie. Il se remit en route.

Au bout d’un kilomètre, il aperçut un cocotier qui correspondait à la description du cocotier bibiche. Mais celui-ci avait un comportement très étrange. Il se tortillait et sautillait comme un être facétieux. Il lui arrivait même de disparaître puis de réapparaître à divers endroits. Wanakat comprit qu’il n’était pas encore au bout de sa peine. A chaque fois qu’il s’approchait, l’étrange cocotier disparaissait et en profitait également pour lui donner quelques claques avec ses palmes. Le jeune homme désespéré, ne voyait aucune issue à cette situation. Il pensa alors à la dernière parole de la vieille Wazana. Il se mit à genoux et pria ce nouveau Dieu qu’il ne connaissait pas encore.

Il ressentit brusquement des picotements dans les yeux et s’aperçut qu’il distinguait nettement le cocotier. Wanakat tenta de s’approcher de nouveau mais son étrange adversaire lui lançait différents objets qu’il trouvait à sa portée. Le jeune homme esquiva un à un les différents projectiles puis avec ruse, accula cet être malicieux au bord de la falaise. Ne trouvant plus rien à portée de palmes, le cocotier décrocha un de ces cocos et le projeta sur notre héros, qui réussit à l’éviter. C’est exactement ce qu’attendait Wanakat. Il récupéra ce coco et remercia son propriétaire avec un large sourire.

— Merci, mon ami et à bientôt !

Il se mit aussitôt à la recherche d’un grand banian, il lui fallait se rendre dans le Wetr pour récupérer un nouvel ingrédient. Une rapide recherche permit à l’œil aguerri de Wanakat de repérer un énorme banian. Il plongea au cœur de ses racines et toucha sa pagaie magique. Il tomba, inconscient pour se réveiller quelques instants plus tard dans un enchevêtrement de racines d’un banian qu’il savait se trouver dans le district du Wetr.

ECART
Chapitre 6 | Hnaizianu – Lifou

L’igname serpent

Dans un bruit sourd de feuillages accompagné d’un souffle de vent frais, Wanakat sortit avec la pagaie dans la main, des racines géantes de son arbre de transport. Il était épuisé, essoufflé par ce long voyage fascinant mais dangereux, et son sac commençait à être lourd ! Il pensait déjà à sa nouvelle aventure qui s’annonçait difficile puisqu’il allait devoir déterrer l’igname-serpent.

Le jeune homme marcha environ une heure dans la forêt sèche de Wanaham qui était composée de gaïacs, de hmetrewen, de flamboyants et de ces terribles lantanas qui lui griffaient les jambes.

Enfin, Wanakat arriva sur une route caillouteuse qui le mena jusqu’à la tribu voisine, Hnathalo. A mi-chemin, il rencontra deux jeunes hommes qui portaient une barre à mine et un couteau. Arrivé à leur hauteur, l’aventurier engagea la conversation par des gestes et les rares mots de Drehu qu’il connaissait :

Bozu së ! commença Wanakat.

Bozu, eö a tro ïe ? répondirent les deux jeunes hommes en lui serrant la main.

— Je ne comprends pas ce que vous dites mais vous pouvez peut-être m’aider.

— Oui, d’accord mais comment t’appelles-tu ?

— Mon nom est Wanakat, je viens d’Ouvéa et mon grand-père m’a envoyé pour aller à la grande chefferie.

— Nous allons t’y conduire, proposèrent-ils en marchant. Nous sommes Thelemel et Ünatr, nous habitons cette tribu.

Devant la chefferie, un homme de grande taille, barbu, vêtu d’une chemise colorée et d’un manou noué autour de la taille, attendait.

— Bonjour Wanakat, bienvenue dans le district du Wetr. Nous savions que tu devais passer venir nous rendre visite car j’ai eu une vision de ton grand-père qui m’a tout expliqué.

— Bonjour, je viens vous présenter une coutume pour que vous m’indiquiez le lieu où se trouve l’igname–serpent.

— Je suis le porte-parole du grand chef, suis-moi dans la grande case.

Wanakat s’agenouilla et lui demanda la permission de prendre l’igname-serpent pour sauver son île. Soulagé d’avoir présenté son geste coutumier, le jeune voyageur était tout de même très impressionné par le volume, la grandeur de cette case. Les chambranles fixés à la porte étaient sculptés de symboles ancestraux représentants les gardiens du lieu et elle était divisée en deux parties, celle de gauche pour le grand chef et l’autre pour les visiteurs. Mais ce qui impressionna le plus Wanakat était la hauteur et la grosseur du poteau central ainsi que les poteaux du pourtour, eux aussi ornés, qui montraient tous les sujets du grand chef qui avaient participé à la construction.

Quelques instants plus tard, ils sortirent et le porte-parole leur donna les derniers conseils :

— Thelemel et Ünatr vont t’accompagner dans ta mission. Le champ se trouve aux falaises. Sur ton chemin, tu trouveras des pièges à rats et tu mettras ces bêtes dans un sac.

— Mais pourquoi faire ?

— Ces rats serviront de repas à la buse géante, gardienne du lieu sacré, et vous profiterez alors de vite déterrer l’igname-serpent.

— Je vous remercie, conclut Wanakat en s’éloignant.

Tous les trois se dirigèrent derrière la tribu, en direction des falaises du bord de mer.

Wanakat commençait à sentir la faim et comme ils devaient prendre des forces, ils mangèrent sur la route quelques fruits : des papayes, des bananes, des goyaves avec des cannes à sucre et des cocos verts pour se désaltérer.

Plus ils avançaient, et plus un bruit sourd se faisait entendre, la mer tapait sur les immenses rochers. Tout d’un coup, le cri perçant et effrayant de la buse retentit au loin et Wanakat sursauta de peur. Soudain, surgissant de derrière un arbre et montant vers le ciel comme une fusée, l’oiseau gigantesque apparut ! Son envergure était d’environ six mètres et son bec crochu pouvait facilement attraper un homme.

Le jeune homme paniqua, son cœur battait la chamade, il tremblait de tout son corps et pensa tout arrêter car c’était la plus dangereuse aventure de son voyage. Dans un flash rapide, son grand-père Dadabé lui apparut et lui parla :

Mon fils, sois courageux, il ne te reste que quelques ingrédients à retrouver, sois fort et pense à ton île ! Je compte sur toi !

Quelques mètres plus loin, ils virent un piège à rats et mirent l’animal prisonnier dans le sac. Ils renouvelèrent l’opération une vingtaine de fois. Puis ils arrivèrent dans une clairière où se trouvait un champ bien entretenu dont les feuilles des tubercules étaient bien vertes et intactes.

— Parmi ces ignames laquelle est l’igname serpent ? Questionna Wanakat.

— Elle se situe devant toi, au centre du champ, sa tige grimpe au gaïac, répondit Ünatr.

— Les feuilles sont mauves, précisa Thelemel, et plus grandes que celle des autres plants.

L’oiseau noir apparut derrière eux, volant en altitude et formant de grands cercles. Un cri aigu et strident retentit ! Les trois garçons se bouchèrent les oreilles avec leurs mains et prirent leurs jambes à leur cou pour se mettre à l’abri sous les arbres en bordure de champ.

Ünatr observa autour de lui et vit un arbre appelé öleng, à la sève jaunâtre, dont il arracha quelques morceaux d’écorce qu’il écrasa ensuite.

Pendant ce temps, Thelemel et Wanakat s’occupaient des rats qu’ils égorgèrent afin d’y glisser cette plante paralysante, anesthésiante. Ünatr, en homme courageux, partit déposer les rats empoisonnés sur un rocher en hauteur pour que la gardienne s’éloigne et s’en empiffre.

La buse, aux yeux rouges et à la vue très fine fonça à toute vitesse sur les proies. Sans tarder, les trois compagnons commencèrent à déterrer la fameuse igname, coupèrent l’immense liane et plantèrent dans un mouvement régulier la lourde barre à mine dans la terre fertile. Soudain, l’ombre de la buse géante surgit au dessus d’eux laissant apparaître ses griffes acérées, pointues et coupantes comme les lames d’un couteau. Cependant, à quelques mètres de là, elle fit des mouvements circulaires et tomba à pic sur les arbres dans un bruit fracassant.

Après avoir creusé plusieurs heures sous le soleil brûlant, ils découvrirent le tubercule unique et sacré qui mesurait environ cinq mètres, avait une forme allongée et tordue, la peau marron et lisse.

Thelemel avertit ses compagnons :

— Attention, si nous la cassons, il nous arrivera un malheur, nous a informé le porte-parole.

— Quel malheur ?

— Elle se transformera en serpents qui se multiplieront à une vitesse folle, affirma Ünatr.

La dernière opération était la plus délicate car il fallait sortir, soulever l’igname de terre sans la casser. Une fois délivrée, ils la transportèrent en bordure de champ, à l’ombre pour se protéger du soleil et de l’oiseau. Rapidement, les garçons coupèrent des feuilles de cocotier, et trois cocos pour se rafraîchir, ils tressèrent un panier dont ils enveloppèrent l’igname.

Avant que la buse se réveille, ils filèrent le plus vite possible loin des falaises.

Tout à coup, un cri terrifiant résonna aux alentours, amplifié par l’écho des falaises. Ils en eurent la chair de poule parce qu’ils comprirent alors que la gardienne venait de se réveiller et était furieuse d’apprendre que le fameux tubercule avait disparu.

Les trois aventuriers reprirent la route en sens inverse jusqu’à Wanaham pour retrouver le Banian à Grande Vitesse.

Arrivés à destination, ils essayèrent de faire rentrer l’igname entre les racines, près du tronc. Malheureusement, celle-ci était trop énorme, la tête dépassée de l’arbre et risquait de se casser durant le voyage ou bien la téléportation pouvait échouer !

— Comment vais-je faire pour repartir ? Et en plus le temps presse ! Déclara Wanakat en soupirant, désespéré car il échouait devant l’épreuve la plus facile après avoir réussi le plus difficile !

— Hé ! J’ai une idée, révéla Ünatr, il y a un gigantesque banian à Chépénéhé !

— Mais c’est loin et nous sommes à pied ! protesta Thelemel.

— J’ai un talisman de mon grand-père, je l’ai déjà utilisé à Maré et il m’a sauvé la vie, affirma Wanakat.

Peut être que cette fois-ci encore ça va fonctionner.

— Je vais t’expliquer où se trouve ce banian : il est sur les hauteurs de la tribu, tu le reconnaîtras à sa taille et au trois cocotiers qui l’entourent.

— Nous te souhaitons bonne chance, tu as été courageux et formidable, et nous espérons te revoir un jour.

— Merci beaucoup, je vous suis très reconnaissant pour votre aide et votre amitié, termina le héros.

Avec ses deux mains, il serra très fort le talisman, de la forme d’un coquillage, il ferma les yeux et se concentra sur son vœu. Et soudain, il se sentit tout léger comme une plume emportée par le vent. Dans son rêve, il flottait, entouré d’un nuage blanc comme s’il était au Paradis.

Tout à coup, une goutte de pluie tomba sur son front et il se réveilla en sursautant. Epoustouflé par ce miracle inattendu, il vit les trois cocotiers qui encerclaient le banian géant. Content, il craignit portant que l’igname ne soit pas avec lui mais en se retournant il fut soulagé de la voir.

En plus, il se sentait en pleine forme comme s’il avait dormi une nuit entière. Il se dépêcha car la nuit commençait déjà à tomber, il sortit la pagaie magique de son sac, prit l’igname qu’il plaça dans un large trou semblable à un tunnel, en la posant délicatement. Un grondement sourd et grave retentit, ça y est il partait, très heureux de rentrer chez lui, enfin !

ECART
Chapitre 7 | Eben Eza – Ouvéa

Les plumes d’or de la perruche

Wanakat réapparut enfin dans son île natale, se glissa agilement à travers les racines du banian, se trempa dans l’eau claire et sortit de la grotte de Hulup, sa tribu. Il vit des arbres qui bougeaient, avec de gigantesques branches toutes noires. Il serrait très fort les dents. Il avait peur. Il ne rencontrait personne mais il continua à marcher avec courage pendant des kilomètres dans la forêt sombre. Enfin, des hommes qui ramassaient du bois, le renseignèrent :

— Oui, oui, j’ai déjà vu cette perruche au dessus de l’aérodrome. Et si le temps est beau, tu peux voir la plume d’or qui brille dans le ciel.

— Mais qu’est ce qu’il te dit, lui ? C’est l’avion des îles ! Jaune avec les dessins anciens des bambous ! Une perruche, l’avion ? Une grosse perruche à moteur ! Ah ! Ah ! Ah !

— Oh ! Arrêtez les deux, le petit a besoin de savoir ! Tu vois pas les moustiques ?

— Bon ! Va à Whanghe, c’est là !

— Elle est pas à Whanghé, elle est à Hnimaha, c’est sûr.

— Mais, non à Wakatr !

— Mon cousin l’a vu à Ognat!

— Non à Guei !

— Bon à Guei, ou à Ognat, ou peut-être à Mouli…Mon fils, je ne sais pas où !

Fatigué, découragé, Wanakat passa tout droit sur la route qui mène à son grand père.

Perché sur un piège en noix de coco, un crabe de cocotier tenait dans ses pinces un message de son grand père :

Tu ne dois pas retourner à la tribu avant que le fléau ne soit parti.

Wanakat ne put s’empêcher de crier :

— Mais je ne sais pas ou elle est, et j’ai faim !

Il continua à lire :

Tu trouveras la perruche quand tu auras les deux indices.

Un vieil homme lui dit :

— Des perruches ? Il y en a partout dans le Nord, autant que les papayes bien jaunes dont il ne nous reste que la peau ! Ce sont de belles farceuses avec leurs cris de commère !

Il réfléchit un moment en décortiquant une noix de coco qu’il lui donna à boire.
—  Je vais t’aider parce qu’ici, nous ne savons plus que faire… C’est à devenir fou ! Les moustiques ont envahi l’île. Il y en a partout… Je t’accompagne.

Ils regardèrent bien, aperçurent beaucoup de perruches, des vertes, jaunes et rouges, mais pas celle qu’ils cherchaient. Ils étaient très déçus, mais pas loin de la grotte, ils découvrirent une lettre dans le creux d’un rocher : l’indice !

La femelle de l’aigle amoureux vit sur la falaise de Lékine

Wanakat ne comprenait pas du tout ce que cela voulait dire, mais il se dirigea à nouveau vers le Sud, fatigué mais décidé.

Sur le bord de la route une vieille femme, assise sous un pied de letchi, apparut. Elle tressait une natte. Il était très étonné, car c’était la première fois qu’il la voyait dans la tribu de sa mère.

— Bonjour mon enfant. Toutes les vieilles et les vieux te connaissent, car tu es le petit fils de Dadabé. Tu cherches une plume, n’est ce pas ?

— Comment le savez-vous ?

— Je suis une voyante.

— Pouvez-vous  alors m’indiquer comment la trouver ?

— Ecoute-moi, mon enfant. Tu vas devoir passer une épreuve. J’espère que tu es courageux.

— Je veux bien. Mais où ? Je ne sais pas où aller.

— Tu dois d’abord aller là-bas, là, tout près, à Wadrilla. Devant le caillou rouge du temple, tu poseras deux ou trois de mes cheveux, et tu diras tout doucement comme dans un souffle: Baï Cica, Baï cica. Juste à ce moment, tu apercevras alors près des escaliers des traces de pas bleus. Mais tu dois faire vite car elles disparaissent aussitôt.

En mangeant avec un grand plaisir les letchis, il arriva à Wadrilla. Toutes les portes étaient fermées. Tous les gens circulaient avec leurs anti-moustiques (une boîte de conserve, un fil de fer pour la tenir, et du bois de santal brûlant à l’intérieur). On reconnaissait bien les enfants aux fumerolles bondissantes. Comme le village sentait bon ! Mais les tontons n’étaient pas contents :

— Tu cherches l’indice pour trouver la plume d’or ? Je crois qu’il s’est fait dévorer par les moustiques !

— Regarde, la chefferie est noire, entièrement recouverte par ces maudites bestioles ! Ca grouille !

— J’ai pas pu faire le deuil de mon fils, car les moustiques nous en empêchent !

Près du temple, il suivit alors les traces bleues, et rencontra une petite fille qui se tordait dans tous les sens.

— Qu’est ce que tu as ? Et qu’est ce que tu fais ici toute seule dans la forêt ?

— Je voulais aller chercher la plume d’or… et tous ces moustiques…

— Mais comment le sais-tu ?

— J’ai entendu la conversation d’une vieille.

— Reste tranquille. Tu ne dois pas bouger : c’est dangereux.

— Oui, mais moi je sais aussi quelque chose. J’ai aussi entendu : Quand tu suivras l’aigle qui est à Tréu, tu trouveras l’indice. Tu m’emmènes ?

— Non, il ne faut pas. Demain.

Seul, sur le sentier de la forêt de Wagei, vers le cap Saint Hilaire, il entendit un cri d’aigle, ce qui le rassura. Mais quelle fut sa surprise, quand il aperçut, assis au bord de la falaise, son grand-père contemplant l’océan qui grondait tout en bas.

— Je t’attendais. Je t’ai présenté à l’océan, et j’ai parlé à l’aigle : il plane sur le rocher : c’est bon signe. Il va t’aider. Il est inséparable d’une femelle à Lékine, et il va l’appeler.

Ils parlèrent un peu, contents de se revoir. Puis avec fierté, il lui remit tous les ingrédients.

— C’est bien, mon petit, tu vas nous sauver. Il ne te manque plus que la plume d’or…
Mais…Mais… MAIS NON ! Où est le poil blanc de la roussette ? Je ne le trouve pas, je ne le trouve pas ! Bon, d’abord la perruche, après on verra. L’Evangile est bien parti d’Ouvéa à Fayawé pour être transmis à Parawié à Houaïlou ! Il y a un lien, un chemin ! Et oui, ça va marcher ! Mais dépêche-toi, les moustiques nous dévorent ! C’est horrible ! Les gens se plaignent ! Tu dois aller la chercher au Sud, dans un petit îlot où habitent une trentaine de personnes. Tu dois attendre le porte-parole et passer très facilement à marée basse. Mais attention ! Ne traverse surtout pas tout seul à cause des gardiens de Fayawa. Des serpents à quatre têtes la surveillent. Prends ces feuilles déjà préparées : Ce médicament te rendra fort. Voilà ! N’oublie pas. Je te remets ce petit geste que tu donneras à ton arrivée. Bon courage !

Il s’approcha d’un pêcheur, qui allait lancer l’épervier.

— Qui es-tu? D’où viens-tu ? Que viens-tu faire ici ?

— Je suis Wanakat, je viens de Hulup et je viens vous demander de m’indiquer l’endroit de la perruche d’or.

— Elle se situe dans la quatrième grotte. Mais depuis que le monstre est venu, on n’y va plus.

— Quel monstre ?

— Je ne sais pas. Je me souviens d’une plume d’or.

—  J’ai autre chose à vous demander. Connaitriez-vous aussi un chasseur de roussette ?

— Ah, ça ! C’est pas pareil ! Rien à voir !

Il l’accompagna chez son ami.

— Monsieur, il me faut à tout prix trois poils de roussette blancs.

— Mais, il raconte n’importe quoi ce petit !

— Tu te moques ! Mais tu sais, l’autre jour, j’ai tiré sur une roussette qui mangeait une papaye et j’ai touché la sève blanche qui a éclaboussé ses poils ! Et ils étaient blancs, c’est vrai !

— Oui, mais non, c’est pas ça.

Wanakat se dépêcha de repartir car la marée montait; il était en retard.

Il remit son geste au porte-parole qui l’attendait, mais il n’eut le choix que de traverser la mer en nageant jusqu’aux falaises. Le serpent n’était pas venu. Il grimpa tout en haut, avec des cordes, mais tout à coup la perruche apparut et le fit tomber. Il réussit heureusement à s’accrocher à la paroi.

Il se rappela alors de ces paroles :

Attention, il y a un gardien dans cette grotte : c’est une perruche. Il ne faut  pas lui faire de mal, ne pas faire de bruit, car elle reviendrait méchante et t’attaquerait. Attends qu’elle s’endorme; tu en profiteras pour lui tirer une petite plume, mais sors vite et quand tu redescendras, ne perds surtout pas la plume. Ensuite, si tu la trempes dans la mer, quand tu la ressortiras, elle sera en or.

Wanakat, aperçut la grotte et monta, monta encore. Il se heurta à un grand homme costaud, barbu, avec une espèce de sifflet autour du cou :

— Ah! Je t’attendais avec impatience

— Bozu, je m’appelle Wanakat

— Oui, je sais.

Il sortit de son coin, prit son sifflet et souffla. Soudain, un énorme oiseau atterrit sur un rocher.

— Wanakat, tu vas monter sur Iell; c’est le nom de mon oiseau. Monte. Tiens le sifflet ; si ça se passe mal, tu siffles très fort

— Ok !

— Dépêche-toi, il faudra arriver à temps.

— Au revoir et bonne chance !

Iell l’amena aux falaises. Il vola, vola, arriva au nid de la perruche, qui n’était pas là. Il vit la plume d’or ; il la prit. Mais soudain, le bel oiseau revint de son voyage de Houaïlou, où elle allait souvent car elle raffolait des roussettes. Avec son bec crochu, elle voulut assommer Wanakat, mais ce garçon, vraiment agile, esquiva le coup, et eut le temps de voir  un poil de roussette blanche. Il siffla très fort.

Wanakat aperçut deux aigles foncer droit sur lui. Il crut qu’ils venaient pour l’attaquer, en même temps que la perruche. Mais les deux oiseaux inséparables, le majestueux mâle de Wagei suivi de sa femelle de Lékine allaient aider l’enfant.

Ils tournoyèrent au dessus du petit oiseau pour le mettre en garde, rapprochèrent leurs cercles petit à petit pour l’isoler du petit garçon et le bousculèrent. La femelle heurta le bec de la perruche qui laissa tomber les cinq poils de roussette blanche. Wanakat en ramassa trois, comme le lui avait dit son grand père. Les oiseaux continuèrent  à l’intimider en tournant encore. Wanakat aperçut alors une plume qui tombait doucement comme une feuille légère dans la mer. Il vit la plume se transformer et changer progressivement de couleur ; il nagea à toute vitesse pour l’atteindre, la prit doucement dans sa main : il tenait bien la plume d’or. Il avait réussi !

Mais Wanakat laissa tomber la plume. Il siffla le signal de détresse et demanda à l’homme costaud de parler aux oiseaux.

— Aidez-moi à retrouver la plume. Je l’ai perdue. Je suis en retard, la marée monte, et le serpent gardien va arriver

— Là, là, je la vois !

Les deux aigles atterrirent sur un rocher près de lui, avec une algue.

— Prends-la comme le vieux Dadabé l’a enseigné. Mange-la.

Soudain, il n’arriva plus à respirer. Il sauta dans l’eau.

— Mais, je respire dans l’eau !

Il nagea au plus profond de la mer, au dessus des coraux multicolores et des anémones qui dansaient, aperçut la plume qui brillait dans un trou près du serpent blanc.

Il la saisit et remonta vite. Mais le serpent le vit, et le suivit en ondulant. Wanakat jaillit de l’eau. Il avait peur. Il siffla. Le grand aigle tendit ses pattes, attrapa la tête du serpent, vola, vola très haut et lâcha le serpent blanc sur le sable : la légende ne le dit pas mais peut-être, depuis ce jour là, le sable de Mouli est devenu le plus blanc du monde.

Après avoir remercié ses deux amis les inséparables, il retourna chez le vieux Dadabe qui l’attendait. Rayonnants, le grand père et le petit fils se regardaient, plus unis que jamais, heureux d’être ensemble à nouveau, après toutes ces épreuves.

La tribu est enfin débarrassée du fléau des moustiques, et a retrouvé son calme et sa joie de vivre. Wanakat est fier d’avoir réussi sa mission, et d’avoir bravé tous les obstacles qui se sont présentés à lui. En quelques jours, il a grandi, mûri. Il est passé de l’enfance à l’adolescence, et a acquis assez de force et de sagesse pour suivre le chemin qui le mènera vers le monde des adultes.

Dadabé, lui, se sent apaisé, serein. Son petit-fils s’est montré digne de sa confiance. Il sait désormais qu’il pourra compter sur lui pour assurer sa succession. Le temps est venu de lui transmettre son savoir, ses secrets de vie, et le fruit de son expérience de vieil homme sage. Il pourra ainsi terminer son existence en paix avec lui-même, ayant accompli son devoir d’Ancien.