La formation du Do Kamo pour repenser l’école

A. La fabrique « des déficients sociaux » du vivre-ENSEMBLE

Le lendemain du 4 Novembre 2018, déjouant tous les pronostics, les résultats ont démontré que la logique des blocs restait prégnante et que cette construction du « vivre-ensemble » était encore à démontrer. Comment en est-on arrivé là ?

1) La tragi-comédie du « vivre-ensemble »

Nous en sommes restés à la déclaration prémonitoire de nos deux leaders (Jacques Lafleur et Jean Marie Tjibaou) « Ensemble mais avec la France ; ensemble mais sans la France »…Nous sommes encore aujourd’hui dans cet entre-deux, un territoire flou aux frontières brumeuses du discours paradoxal, qui se nomme « ENSEMBLE mais…» où s’est scellé un devoir d’amnésie collective d’un passé douloureux mais devenu désormais un No man’s land d’incompréhension et discours convenus voire de petits arrangements, un PACS politique institutionnalisé entre adultes pas réellement consentants (oui…non…enfin on ne sait plus trop à la longue !), sans réel dialogue pour formaliser ce destin commun…Nous avons cette désagréable impression de vivre la même histoire tragi-comique en boucle, sommes-nous condamnés à ce « jour sans fin » ?
C’est une crise de l’imaginaire du vivre-ensemble qui s’est façonnée pendant 30 ans…

On se parle mais on ne s’écoute pas, on se regarde mais on ne se voit pas, le non-dit et le non-vu…Nous sommes devenus Des « déficients sociaux » DU VIVRE ENSEMBLE : nous vivons ensemble mais nous ne voyons pas et nous ne écoutons pas…Parce que nous n’allons pas au fond des choses et nous ne nous comprenons pas…certains parlent d’égalité et d’autres de dignité…Nous avons cette désagréable impression de vivre dans deux réalités différentes d’un même univers et nous pensons…ou nous avons pensé sans doute un peu naïvement que ces deux faces seraient un jour conciliables. Nous n’avons pas été à la hauteur de la poignée de main historique de nos illustres leaders politiques aujourd’hui disparus. Le 5 Novembre 2018, le réveil a été brutal pour une partie de la population calédonienne.

Patrick Eatene à Havila

L’après référendum a semblé sonner le glas de la trêve entre les deux principaux camps et nous avons assisté, un peu médusés, à une montée crescendo des extrêmes. Les discours se radicalisent et les postures se crispent. Cette issue était (à mon avis) prévisible car il y a depuis longtemps la persistance d’une forme d’injonction paradoxale au destin commun avec en toile de fond sonore, un faux air de la mélodie du bonheur : « le paradis n’est pas loin, ne passez pas à côté ! »
Pour une grande partie de nos populations, on a quand même l’impression que le paradis, il est là pour certains mais pas pour tout le monde…et que ceux qui sont A COTE du paradis, c’est un peu toujours les mêmes…

2) L’autre réalité scolaire et sociale

Ce pays a deux visages. D’ailleurs, les amis métropolitains qui arrivent, sont tout de suite confrontés à cette double réalité. Ils perçoivent rapidement que derrière le discours incantatoire du vivre-ensemble, il y a une réalité presque intangible, c’est celle de deux mondes qui coexistent mais qui se croisent rarement sauf dans des « ilots » où les espaces restent délimités car les sujets qui fâchent sont symboliquement neutralisés (le travail) ou « anesthésiés » (le nakamal). Parfois, le vivre-ensemble ici, c’est un peu « le syndrome du tata-bisou »… Je suis sûr que vous comprenez ce que je veux dire !

La non prise en compte de cette autre réalité – kanak voire océanienne – a commencé à l’école. Cet univers quotidien d’une grande majorité d’élèves kanak a souvent été occulté ou mis à la marge des programmes. Bien sûr, les choses évoluent et il faut saluer l’entrée des EFCK (éléments fondamentaux de la culture kanak) dans les programmes du Primaire et du Secondaire. Notons également la mise en route du CAPES bivalent de langues kanak pour cette année 2019. Mais l’institution ECOLE reste difficilement réformable alors que nous observons malgré tout la persistance d’une inadaptation de la réponse scolaire face aux difficultés de nos enfants.

Havila : projets interdisciplinaires 2019

Certains, en particulier les océaniens ne s’y sentent pas bien et nous traduisons souvent leur souffrance ou leur détresse en novlangue scolaire académique « convenue » (souvent relayée par les enseignants eux-mêmes) : manque de motivation, manque de concentration, manque d’attention et de travail, peu d’ambition etc…Mais paradoxalement, il n’y a pas de mot pour traduire la violence de l’école, les traumatismes qu’elle inflige par ses process rigides et ses logiques institutionnelles stigmatisantes… Nous n’avons pas suffisamment analysé toutes les dimensions de cette violence symbolique de l’école mais j’y vois (en partie) une corrélation avec les faits divers qui ont émaillé l’actualité calédonienne de ces dix dernières années évoquant les violences à l’école, les classes saccagées et les incendies dans certains établissements. Pourquoi l’institution scolaire est-elle souvent ciblée ?
Il serait temps de se poser les bonnes questions : les écoles brûlent et on regarde ailleurs !

3) L’école : le bon GPS ou le tri sélectif à la source ?

La réponse (mais cela reste à démontrer) est sans doute à chercher (en partie) dans le rapport au savoir et à la loi. L’école apparaît-elle comme un espace où nos enfants trouvent du sens ? Rien n’est moins sûr…
Pour une partie de nos enfants, sans doute la moins représentative, celle qui n’arrive pas à décoder les attentes de l’école voire à déchiffrer ses logiques institutionnelles implicites. Pour ceux-là, l’école apparaît comme une zone de non-sens et parfois de faux sens…Donner du sens à l’école, c’est permettre aux enfants calédoniens de se construire « un ensemble de repères, se fixer un ensemble de valeurs qui permettent de mettre son monde en ordre et de le partager avec ceux d’autrui » (Cf « Donner du sens à l’école », DEVELAY Michel).

Mais s’il s’avère que pour certains enfants, en particulier les océaniens, qu’ils ne perçoivent pas l’école comme un espace où l’on construit ENSEMBLE du sens mais que des règles leur sont imposées sans concertation voire sans discussion. Cette dimension du rapport au sens devient symboliquement nulle.
Et à mon avis, elle préfigure d’un rapport « pathologiquement biaisé » à la norme scolaire, sociale et sans doute à la loi. Dès lors, nous formons certains enfants…pour qui la légitimité de la norme reste encore et toujours à démontrer…Notons que parfois se développe, des réactions presque épidermiques de résistance à la norme imposée : ainsi le « français Kayafou » ou « français mélangé » (CF. Véronique Fillol).

Pour illustrer mon propos, permettez-moi d’emprunter une image donnée (en partie) par M. Gérard Vigner, ancien Inspecteur d’Académie et auteur de l’ouvrage « la Didactique du Français Langue Seconde ».
Imaginez-vous deux équipes de foot qui doivent s’affronter, la première équipe a parfaitement intériorisé les règles du jeu. La seconde n’a pas compris la moitié des consignes du règlement…Le jeu commence…Le score est sans appel…D’après vous, qui a gagné ? Pour certains, l’école, c’est déjà un peu le tri sélectif à la source…

Toutefois, il y a plus de cinquante ans, certains de nos aînés s’en sont mieux sortis alors qu’ils étaient « moins équipés » qu’aujourd’hui.

La réponse est à chercher dans leur GPS interne de parcours biographique, ils n’étaient (sans doute) pas équipés au niveau matériel mais ils avaient leur ancrage socioculturel dans leur cartographie mentale cognitive (qui selon Harmut Rosa permet d’évaluer leur relation au monde et surtout de lui donner du sens). Ils savaient d’où ils partaient…et ils étaient équipés culturellement voire spirituellement pour affronter les épreuves. Ils savaient également se projeter pour un avenir meilleur. Ils ne savaient pas trop où ils allaient mais ils savaient qu’il fallait y aller ! Ils avaient ouvert leur champ des possibles…

Aujourd’hui, pour certains de nos enfants qui ne sont plus suffisamment équipés culturellement et spirituellement, ce GPS interne s’est un peu grippé…Il faut le restaurer pour redonner du sens car une société en crise, c’est aussi une école en crise…de sens…

Elèves de Do Kamo au tribunal (2018)

Toutefois, pour être précis, certaines familles kanak voire océaniennes, ont développé des stratégies éducatives qui maintiennent cet ancrage socioculturel et les ont également adaptées aux attentes contemporaines de l’école. Par le parcours biographique des parents voire de certains grands-parents, ils ont très tôt transmis à leurs enfants voire leurs petits-enfants les clefs pour mieux comprendre les codes de l’école pour lui donner du sens. Ils ont, pour ainsi dire, amélioré le logiciel du GPS interne de leur progéniture. Se créent ainsi dans certaines familles une forme de mythologie de la réussite et un discours sur l’école qui fait sens, qui se transmet de génération en génération. Regardez la généalogie de certains de nos cadres kanak, c’est assez parlant !

Et la philosophie éducative du Do Kamo dans tout ça, me direz-vous ?
C’est le logiciel (pour continuer dans la métaphore filée) qu’il faut réinitialiser dans le GPS interne de certains de nos gamins. L’image est un peu réductrice mais il faut voir cette philosophie éducative comme une alternative au format scolaire actuel. Elle s’inscrit dans une conception holistique de la formation de l’homme et elle préfigure également d’un projet de société performant et contextualisé car elle valorise un modèle de réussite intégrée dans un écosystème socioéconomique, environnemental, multiculturel et symbolique.

B- Conception holistique de la formation de l’homme

1) L’éducation multidimensionnelle

Dans le projet éducatif de l’ASEE, l’axe central a été porté sur une vision multidimensionnelle de l’éducation, ainsi est rappelé que « L’homme est une entité complexe. Il est une personne physique, intellectuelle, affective et spirituelle. Toutes ces composantes doivent être développées et enrichies afin que l’homme soit un « Do Kamo », un homme debout ». Notons que l’on retrouve cette approche dans la pédagogie multidimensionnelle de M. Richard Waminya (Docteur en ethno-mathématiques et spécialiste de la didactique des CLK), qui l’a véritablement conceptualisée de manière plus approfondie et lui a apporté une caution scientifique au niveau didactique et pédagogique. Il faut saluer cette véritable avancée pour repenser le format de l’école calédonienne.

L’homme océanien est un homme total. Il est un tout : il porte en lui son écosystème…Il est lui-même son écosystème. On retrouve cette notion dans le principe d’UNICITE, également théorisé par M. Wapotro et M. Waminya et par d’autres avant eux. Cela peut se traduire par différents besoins (comme le précise d’ailleurs le plan Do Kamo) qu’il faut enrichir et développer : besoins culturels, besoins physiologiques et psychologiques, besoins intellectuelles et socioéconomiques, besoins spirituels et symboliques…Tous ces besoins sont interdépendants forment un homme systémique, un homme total. Cet homme (ou cette femme) deviendra un Do Kamo quand il trouvera sa plénitude dans un accomplissement harmonieux. Mais comment devenir un être accompli ?

Najat Valaud-Belkacem au centre de recherches de Hnadro à Lifou

Cela nécessite une formation, c’est-à-dire un parcours tout au long de la vie et un curriculum multidimensionnel. Nous l’avons pensé principalement au niveau du primaire et du secondaire mais la formation du Do Kamo, c’est la formation d’une humanité qui est en « reformulation permanente ». Quel est l’intérêt d’un tel parcours ?

La formation du Do Kamo doit nous permettre de faire émerger de nouveaux modèles de réussite intégrée à un écosystème socioéconomique, environnemental, multiculturel et symbolique.
Comme je l’avais indiqué dans mon précédent article (avant-propos), ce développement économique accéléré à la sauce « glyphosate » a sans doute généré de la richesse matérielle et financière (enfin pas pour tout le monde !) mais elle a aussi engendré de la pauvreté spirituelle et développé un processus d’aliénation, l’émergence d’une forme dégénérée de notre rapport au monde [il n’est pas impossible aussi de penser que l’école en « crise de sens » sécrète les germes de ce processus mais cela reste à prouver !]. Le parcours du Do Kamo doit nous permettre de repenser ce modèle de développement (qui ne nous convient pas) et de former de nouveaux « cadres » avec des compétences hybrides, c’est-à-dire qui s’inspirent de l’ensemble de leurs compétences : socioculturelles, spirituelles et formatives…et d’autres compétences à venir…car le Do Kamo, c’est aussi le savoir-devenir.

2) La Pédagogie du lien ou faire humanité ensemble

Cette formation nécessite aussi de repenser nos pratiques pédagogiques et leurs postulats idéologiques. M. Waminya propose la pédagogie de la relation, et cela dans une vision beaucoup plus large. Personnellement, je me bornerai qu’à la question du lien qui me semble central. Je l’ai déjà dit dans un précédent article, pour les kanak et les peuples océaniens : le sens, c’est d’abord le lien.
Il est donc primordial de favoriser des pratiques pédagogiques et didactiques du lien et de la relation (pour une ingénierie de l’éducation à l’altérité). Il faut développer à l’école les pédagogies de la coopération et du travail collaboratif. Pour formaliser cette « conscience communautaire » de destin, Il faut déjà faire émerger plus fortement cette « communauté d’apprentissage » à l’école.

Il est probable aussi que nous ayons perdu certaines formes d’intelligence communautaire car le format actuel de l’école, en instituant le principe de la compétition, nous a permis d’accéder à de nouvelles compétences mais elle nous en a fait perdre également : par exemple une forme d’intelligence collective et interactive… Pendant les semaines de révision du Brevet et du BAC instituées dans nos établissements, ces formes d’intelligence communautaire semblent se réactiver et fonctionner (cela explique aussi en partie les bons résultats de ces structures)… Autre intelligence que nous avons (sans doute) perdue : la faculté de parler et de comprendre plusieurs langues kanak…Nos grands-parents se comprenaient…Pour nous, la politique monolingue et assimilationniste de l’école française républicaine est passée par là…Notons simplement que de ce côté, les choses sont en train d’évoluer dans le bon sens…à leur rythme…

Cette pédagogie du lien doit nous orienter également vers l’enseignement et l’apprentissage des compétences interculturelles, pour les élèves et les enseignants voire tous les personnels qui sont en lien avec le domaine de l’éducation.

Au-delà de la question du lien, doit être prise en compte la question du mal être à l’école. L’émergence de la théorie des intelligences émotionnelles, du climat scolaire, de la prise en compte de l’estime de soi et de la nécessaire bienveillance doivent nous orienter vers une pédagogie de la résilience et de l’inclusion.

3) Pédagogie de la résilience culturelle et de l’inclusion sociale

Pendant trop longtemps, a perduré l’idée bien ancrée que l’école, c’est l’apprentissage par la souffrance. Nous étions dans une vision quelque peu ascétique de la formation. Nous avons passé ce cap : le plaisir doit être mieux pris en compte à l’école : « Pour pouvoir transformer une société, il faut trouver du plaisir dans ce qu’on fait », souligne Claude Dupuy, professeur à l’université de Bordeaux.
Parler de la pédagogie de la résilience culturelle, c’est aussi mieux intégrer la culture kanak voire océanienne dans le format scolaire. Pendant trop longtemps, la Culture et les Langues Kanak sont restés principalement dans une vision patrimoniale malgré les incantations des différentes institutions sur son statut de langues d’enseignement et de culture. En réalité, c’est le constat amer d’un déni didactique et pédagogique de la LCK. Heureusement, l’entrée des EFCK et le CAPES bivalent de LK ont permis ce « rééquilibrage » pédagogique. Toutefois, cette nouvelle dynamique doit nous orienter vers de nouveaux rapports aux savoirs : la culture kanak voire océanienne doit désormais irriguer l’école et les langues kanak doivent devenir de véritables langues d’enseignement.

M. Wahmetu Kapia, directeur du collège de Hnaizianu devant ses élèves

La pédagogie de la résilience culturelle (et spirituelle), c’est aussi faire appel à sa culture, à sa foi et aux valeurs qu’elles sous-tendent pour se reconstruire et relever la tête. C’est permettre l’émergence de ce Do Kamo « émancipé » (Cf. Tué Wahmereungo). C’est cette reconquête identitaire pour réaffirmer à la face du monde son apport d’humanité. C’est l’apprentissage d’une dignité retrouvée et d’être pédagogiquement reconnu.
Et enfin La pédagogie de l’inclusion sociale, c’est construire véritablement ce destin commun sans « injonction politique » mais avec une intime conviction. Cela doit à aboutir une vraie transformation sociétale !
Nous verrons dans une deuxième partie, en quoi la voie du Do Kamo peut véritablement conduire à une communauté de destin et à un projet de société viable (II).

C’est une reformulation permanente. Et je dirai que notre lutte actuelle, c’est de pouvoir mettre le plus possible d’éléments appartenant à notre passé, à notre culture dans la construction du modèle d’homme et de société que nous voulons pour l’édification de la cité

Jean-Marie Tjibaou

Voilà donc le challenge auquel nous sommes invités à participer, la construction de ce modèle d’homme et de ce modèle de société. Le défi est majeur mais il est aussi civilisationnel. Faut-il penser d’abord l’homme ou le modèle de société ? Les programmes des différents partis en lice pour les échéances provinciales de mai prochain font émerger des modèles de société qui semblent légitimement répondre aux problématiques socio-économiques de ce pays. Toutefois, est-on sûr que le modèle d’homme que nous formons actuellement est apte à vivre dans ces différents scénarios idéals ? Je n’en suis pas si sûr… La violence à l’école, les tensions inter-ethniques, l’alcoolisation massive, les addictions, tous ces phénomènes sont symptomatiques d’une société en souffrance.

Penser que tous ces problèmes se régleront comme par magie en améliorant les conditions sociales de vie, me semble faire preuve de naïveté béate. Ce serait dupliquer une autre « fausse bonne idée », celle qui nous a maintenu en haleine pendant plus de 30 ans, les accords feraient naître ce vivre-ensemble et consolideraient ce destin commun. On en est où, aujourd’hui ? Alors, c’est comment ?

Certes, il y a eu des avancées sociales et elles sont notables notamment dans la formation et la promotions des cadres kanak et calédoniens. Objectivement, on peut considérer que les conditions matérielles de vie se sont considérablement améliorées pour la population calédonienne. Et toujours de manière objective, l’écart entre ceux qui vivent bien et ceux qui vivent dans la précarité, s’est aussi globalement accentué. Nous voilà donc, dans un pays qui au travers d’une « économie augmentée » (dopée par les transferts financiers très généreux de la France…si si très généreux !), permet d’offrir un niveau de prestations de services publics sans commune mesure dans le Pacifique et la mise en route d’infrastructures dignes de pays développés (le Médipôle, Néobus). Cette marche accélérée et forcée du développement économique de notre archipel nous a sans doute laissé penser que de ce bien vivre-vivre, il y aurait un effet causal de « bien-être » et que de ce « bien-être », cela nous conduirait à «être bien.»

Cinquantenaire de l’Alliance Scolaire en 2008

Force est de constater qu’il n’en est rien, en particulier pour les kanak et les océaniens. Nous n’y arrivons pas, un mal être persiste surtout chez une grande majorité de nos jeunes…Pourquoi ? Tout simplement (mais ce n’est que mon avis) parce que nous avons vécu dans cette grande illusion que cette promesse de surenchère de bonheur économique et matérielle nous permettrait de mieux vivre. Nous constatons à nos dépens que ce modèle de développement socio-économique a son revers : elle a créé des « métastases » de perte de sens dans nos existences ; elle a accentué des carences dans notre humanité d’insulaire et distillé une forme de pollution symbolique de notre âme océanienne. Non, nous ne nous retrouvons pas dans ce modèle.

Alors, comment faire ?

Il faut d’abord préparer et former l’homme !

Il faut faire renaître l’homme insulaire –et cela quel que soit son origine- pour qu’il devienne un Do Kamo ; notre ancien leader politique nous a donné des éléments de réponse : « mettre le
plus possible d’éléments appartenant à notre passé, à notre culture dans la construction du modèle d’homme » Il savait que la réponse est en partie dans notre passé et notre culture mais il n’invitait pas à une vision nostalgique d’un passé idéalisé comme certains discours politiques. Rappelez-vous, « notre identité est devant nous ».

Mais encore mieux, nos Vieux ont donné des clefs pour nous aider à répondre à cette forme d’érosion de notre humanité : en effet dans les différentes langues kanak, on retrouve cette constante linguistique et culturelle: le Do Kamo, le Nyipi Atr, le Nidi ngome… Dès l’aube de notre humanité d’insulaire, ils ont su que pour enrayer cette marche inexorable vers notre probable aliénation, il était vital que l’homme océanien se fixe un idéal d’humanité : «le vrai homme».

Cet idéal n’est pas figé, il est sans cesse « reformulé », voire poli aux injonctions du temps présent et aux défis sociétaux contemporains. Cet idéal nécessite une formation, qui doit nourrir toutes les facettes de la personnalité de l’océanien. C’est donc une éducation totale et holistique : c’est la formation du Do Kamo. Cette philosophie éducative multidimensionnelle s’inscrit dans le projet éducatif de l’Alliance Scolaire (ASEE).

Afin de mieux comprendre l’intérêt de prendre en compte la formation du Do Kamo pour repenser l’école, je vous propose de cerner les problématiques auxquelles nous sommes confrontées, à l’approche du terme des accords et des nouvelles échéances référendaires (2020 et 2022).

Nous verrons dans une deuxième partie, en quoi la voie du Do Kamo peut véritablement conduire à une communauté de destin et à un projet de société viable.